Pauline est DRH dans une entreprise de plus de 10000 collaborateurs. Elle exerce ce métier par passion : elle a toujours voulu accompagner le parcours des collaborateurs. Pourtant au cours des dernières années, plusieurs fois elle s’est interrogée sur sa mission, tiraillée entre les enjeux des actionnaires, les managers et le terrain. La crise de la Covid n’a rien arrangé…
Les accords sur le télétravail
Des accords ont été signés il y a 5 ans : 2 jours flottants par semaine. Pourtant entre les accords et la réalité du terrain il y a un franc décalage. Les patrons ne sont pas d’une génération qui a pu profiter du télétravail : ils se méfient. Le « salarié qui glandouille » est pour eux une norme. Pauline sait très bien que ceux qui glandouillent à la maison glandouilleraient tout autant sur site ! Elle note d’ailleurs l’inverse. Ceux qui travaillent sur site travaillent encore plus chez eux mais la direction ne veut pas l’entendre, disons que ça les arrange quand on travaille plus.
A la discrétion des managers
Le message officieux qu’on lui demande ainsi de faire passer est que les managers ont le droit de dire non. Elle se doit de rappeler aux collaborateurs que le télétravail n’est pas un droit ni un acquis social. N’est-ce pas antinomique avec ce que dit le gouvernement en ce moment ? Avec la notion de solidarité ? Cela ne semble pas importer à la direction.
Conséquences ? Après le premier confinement tout le monde a été rappelé sur site immédiatement, même ceux qui auraient pu télétravailler. Nulle notion d’équité dans ce rappel, nulle réflexion sur la perte de liens, un simple manque de confiance des managers envers leurs équipes.
Le RH en frontal
Hélas, c’est bien sa direction qui encaisse les conséquences. Les collaborateurs pensent que les RH ne font pas leur boulot et on lui en veut. Mais la réalité est que les RH n’arrivent pas à faire comprendre le besoin à la direction.
Pauline entend bien au quotidien la double peine des équipes de ces micro-managers qui leur demandent de revenir sur site quand d’autres équipes font du télétravail. Elle avait bien initié des formations au télétravail mais « c’était pour les autres ». Elle ne peut rien faire si ce n’est avertir, alerter, pousser à faire confiance.
Pauline sait pourtant que ces managers sont des femmes et des hommes de talent, mais « ce n’est pas dans la culture d’entreprise » vient tout effacer. Ils n’ont pas grandi avec alors cela ne se fera pas.
Dans son bureau se succèdent les collaborateurs qui viennent lui faire leurs doléances et elle sait ce que chacun en pense. Elle entend les émotions et les ressentis des salariés qui se sentent démunis et infantilisés. Perte de confiance en l’entreprise, sentiment de ne pas jouer le jeu dans la situation de crise, certains commencent à craquer et Pauline sait que recréer de l’engagement en 2021 sera compliqué.
Pondre des notes ne résout pas tout.
La direction « pond une note »
Car c’est ce qu’il se passe. La direction est très forte pour « pondre des notes » et ainsi se protéger. Les subalternes, bons soldats modelés depuis quinze ans appliquent sans répliquer. Et Pauline note les incohérences les unes après les autres tout autant que les collaborateurs.
On les fait venir sur site pour « maintenir le lien » mais une note indique que les pauses à la machine à café sont fortement déconseillées. La cantine, ce lieu de partage ressemble aujourd’hui à une cantine d’hôpital et finis les petits déjeuners entre collègues pour célébrer les victoires.
On les fait venir pour les faire venir. On les fait venir pour rassurer les managers, c’est tout.
Que faire ?
Pauline fait partie des réunions décisionnelles, mais sa vision de RH ne suffit pas à transformer une culture d’entreprise de plusieurs décennies.
« Pauline n’est que RH », c’est ce qu’elle se dit, car elle la première n’est pas entendue.
Au fond elle voit bien le terrain : les salariés ont envie de travailler avec les managers plus permissifs qui font confiance à leurs équipes. Elle sait qu’avec le temps, cela va changer mais va-t-elle tenir ?
Quand elle avait signé elle pensait que son rôle pourrait changer substantiellement la culture de l’entreprise. On l’avait d’ailleurs embauchée pour ça, pour moderniser la culture d’entreprise. Aujourd’hui elle s’interroge : pure hypocrisie ? Ou réelle aversion au changement ? Elle sait que 2021 va être encore plus difficile au niveau de la crise morale. Mais elle va tenter de tenir le coup car elle aime son entreprise et les collaborateurs. Mais y arrivera-t-elle et ne devra-t-elle pas se préserver ?
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