Beaucoup d’entre nous travaillent maintenant à domicile. Nous vivons massivement une nouvelle vague d’expérimentation du télétravail : travailler avec (et autour) des technologies virtuelles, apprendre à mieux communiquer avec des collègues virtuels, et expérimenter la collaboration virtuelle et la nouvelle répartition des tâches.
Pour les parents qui travaillent, le travail virtuel présente des problématiques spécifiques. Lors d’un webinaire de la London Business School sur le travail virtuel, 10 % des près de 3 000 personnes interrogées ont déclaré qu’elles étaient distraites par leur famille.
La distraction familiale dû au télétravail est l’un des défis de management les plus urgents de la crise du coronavirus. Si elle n’est pas prise en compte, elle pourrait entraîner une baisse significative de la productivité et de la créativité. Nous – dirigeants et entreprises – devons agir rapidement pour obtenir des quick wins afin d’aider les collaborateurs à gérer leur vie professionnelle. Nous devons également préparer le terrain pour des changements à long terme.
Le défi : la dissolution des frontières
Récemment, nous avons organisé un webinaire axé spécifiquement sur les défis et les opportunités liés à l’équilibre entre travail et famille pour déceler les stratégies qui fonctionnent. Des cadres de plus de 30 entreprises en Europe, aux États-Unis, au Japon, en Australie et en Nouvelle-Zélande nous ont rejoints. Plus de 60 % d’entre eux travaillaient à domicile avec des responsabilités familiales. (Ce pourcentage est à peu près la norme pour de nombreux pays.) Par la suite, pour mieux comprendre leur situation, nous avons organisé un hackathon de sept jours via une plateforme ouverte où ils pouvaient échanger entre eux leurs expériences et brainstormer des solutions.
L’une des façons dont les gens gèrent généralement leur vie professionnelle, en particulier lorsqu’ils ont des personnalités distinctes entre, par exemple, commercial sans concessions et père attentionné, consiste à créer des frontières entre ces deux milieux. Ils construisent des barrières mentales entre les deux sphères, souvent facilitées par des transitions claires et des activités de «rite de passage». Il peut s’agir d’accessoires tels que mettre un costume ou des activités comme monter dans le train de banlieue, prendre un café avant la réunion ou lire le journal. Les personnes qui travaillent à domicile depuis des années créent généralement des frontières et des rituels similaires. Ils vont aller dans la pièce considérée comme bureau et respecter un horaire qui sépare la vie professionnelle de la vie familiale.
Ces transitions aident à séparer et à préserver nos personnalités distinctes et fournissent les moyens pour ces changements temporels, cognitifs et relationnels. Le maintien de ces frontières entre « on » et « off » permet de minimiser les distractions.
Avec des familles entières en confinement, les frontières se brouillent pour les travailleurs. Au lieu de deux transitions (de la maison au travail, du travail à la maison), il y a maintenant plusieurs transitions (travailler, s’occuper d’un enfant, travailler, préparer le déjeuner, travailler, jouer avec le bébé, etc.). Chaque transition affecte négativement la concentration et la productivité et, en fin de compte, la créativité.
Un voile d’ignorance est levé
Il semblerait que les dirigeants deviennent beaucoup plus empathiques qu’auparavant. Les tensions autour du travail à domicile existent, bien sûr, depuis des décennies. Mais, ce qui a fait défaut jusqu’à présent, est la volonté de faire quoique ce soit pour lever celles-ci. Cela commence à changer à mesure que les cadres subissent eux-mêmes ces tensions.
Ce n’est pas qu’un cadre supérieur dans une grande maison avec jardin ait la même expérience qu’une mère célibataire dans un petit appartement manquant d’espace extérieur. Mais dans le passé, les cadres préféraient ignorer les challenges, dans la mesure où ils pouvaient se reposer sur une équipe de soutien (une nounou, une femme de ménage, un jardinier…).
Désormais débarrassés de cette équipe, dû aux mesures de confinement, les cadres subissent de manière plus viscérale le stress et les contraintes du télétravail. Cela crée un sentiment de compréhension et d’empathie qui manquait auparavant.
Il est fort probable que les dirigeants sont désormais beaucoup plus susceptibles de s’intéresser de près aux quick wins et aux changements à long terme.
Trois idées quick win à adopter dès à présent
Sachant que la gestion traditionnelle des frontières ne fonctionne plus, les managers sont très sensibilisés aux challenges du télétravail. Dans notre hackathon, trois idées se sont démarquées entrant dans la catégorie des quick wins – rapides à mettre en œuvre avec peu d’obstacles ou de coûts :
Faites preuve d’empathie pour le contexte de chaque collaborateur.
Certaines entreprises créent des sondages pour se rendre compte, de manière approfondie, des situations spécifiques auxquelles leurs télétravailleurs sont confrontées. Quand elles le font, elles découvrent une grande variété de circonstances et de stress. Un célibataire vivant et travaillant en confinement expérimente une situation très différente d’une famille avec de jeunes enfants. Une entreprise mondiale, par exemple, a constaté que plus de 60 % de ses employés étaient célibataires et vivaient seuls ou avec un parent ou un partenaire et redoutaient l’isolement social. Un quick win a été de créer des pauses café virtuelles quotidiennes à 11h30. Une autre entreprise a constaté que plus de 60 % des collaborateurs avaient des enfants ; leurs problèmes étaient l’épuisement et le défi de se concentrer pendant les heures normales de travail. Signaler aux équipes que travailler en-dehors des horaires traditionnels était accepté pourrait faire une réelle différence dans leur niveau de stress.
Encouragez les collaborateurs à communiquer leur nouvelle donne.
Certaines entreprises co-créent de nouveaux horaires avec leurs équipes. Par exemple, les dirigeants d’une entreprise technologique mondiale travaillent avec les collaborateurs pour identifier les périodes de temps où ils seront disponibles et celles où ils seront indisponibles. Ces calendriers sont ensuite partagés avec les membres des équipes afin de gérer les attentes en matière de réponse. Tout en signalant de nouvelles normes de travail, ces périodes de temps limitent également le nombre de transitions entre pro et perso pour les individus. Les managers nous ont dit que les deux avantages ont contribué à réduire l’anxiété des collaborateurs.
Créer des communautés partageant les mêmes idées/situations.
Parce que la vie à la maison se présente sous plusieurs formes, les besoins des gens et le soutien dont ils ont besoin sont idiosyncrasiques. Les réponses uniformes ne fonctionneront pas. C’est pourquoi certaines entreprises ont créé des plateformes collaboratives qui permettent aux collaborateurs ayant des situations similaires de se retrouver. Ils se conseillent et se coachent, et partagent des idées et des expériences intéressantes. Ces plateformes permettent également de partager leurs besoins et idées spécifiques avec la direction. Les résultats peuvent être vraiment créatifs : par exemple, un cadre d’un assureur mondial a décrit comment une communauté de parents de jeunes enfants avait incité l’entreprise à fournir des ressources sur l’intranet de l’entreprise pour soutenir les cours à domicile.
Travailler vers quatre changements à long terme
Aujourd’hui, il est intéressant de savoir comment à l’avenir les pratiques de travail vont évoluer en raison de l’expérience pendant le coronavirus. Avec des mois de télétravail en perspective, les gens développeront inévitablement de nouvelles habitudes et attentes. Certaines de ces habitudes seront supprimées dès que la distance sociale sera supprimée, mais d’autres auront des vertus si évidentes qu’elles sont destinées à être intégrées dans la vie professionnelle quotidienne.
C’est le bon moment pour se préparer à ces nouvelles habitudes. Voici les quatre qui semblent les plus susceptibles de durer :
Les réunions virtuelles sont là pour durer.
Le passage à la réunion virtuelle de 10 personnes ou plus, issues du monde entier – avec les membres de l’équipe et les clients – s’est produit avec une rapidité et une dextérité extraordinaires. Il s’agit d’une habitude qui ne sera probablement pas abandonnée. Les managers doivent se préparer à plus de technologies virtuelles et à moins de déplacements.
Adoptez la flexibilité concernant le temps de travail.
Gérer plusieurs frontières à la maison s’est révélée à la fois délicat et stressant. Mais les correctifs à court terme (comme la création de périodes de temps) soulagent la pression et deviennent le fondement de l’élaboration de nouvelles méthodes de travail. Ce faisant, ils cassent la norme du travail huit heures par jour, cinq jours par semaine. Reviendrons-nous rapidement à ce modèle temporel ? Cela est peu probable. Les dirigeants devraient se préparer dès maintenant pour comprendre et apprendre comment gérer le temps de manière plus flexible. Ils devraient être prêts à expérimenter des semaines de travail de quatre jours et à satisfaire plus de collaborateurs qui demandent à travailler tard le soir (ou très tôt le matin) au lieu du traditionnel 9h/17h.
Soyez stratégique par rapport au travail en face à face.
Il est clair qu’à de nombreuses personnes télétravaillant les collègues manquent vraiment. Il est peu probable que dans un monde post-pandémique, ils souhaitent rester exclusivement chez eux. Prenons une étude de l’économiste de Stanford, Nicholas Bloom, qui a suivi l’expérience des employés des centres d’appels d’une entreprise de voyages chinoise, autorisés à télétravailler en 2010-2011 pendant neuf mois. À la fin de l’expérience, la moitié voulait reprendre le travail au bureau, même avec un trajet quotidien moyen de 80 minutes. L’interaction sociale leur manquait. Les managers doivent être beaucoup plus attentifs à ce que l’interaction en face à face apporte à leur organisation et chercher à maximiser ces avantages.
Attendez-vous à ce que davantage d’hommes soient engagés dans la parentalité.
Dans les familles qui travaillent, ce sont généralement les mères qui assument la majorité des responsabilités de garde d’enfants. De nombreuses études ont montré que, bien que la quantité de travail domestique et de garde d’enfants pris en charge par les pères ait augmenté, les femmes qui travaillent en font toujours davantage. Lors de nos discussions pendant le hackathon, nous avons entendu des conversations passionnées sur la façon dont les parents expérimentent un partage plus équitable des tâches. Nous avons également constaté que certains pères chérissent le temps passé en famille avec leurs enfants. Ils souhaitent conserver les émotions positives et bienveillantes qu’ils ressentent. Pour les dirigeants, cela a de profondes implications sur la manière d’aborder les questions telles que le congé de paternité et le travail flexible.
Ces changements à long terme soulèvent un certain nombre de questions qui seront débattues au cours des prochains mois. Que signifie la performance dans un monde post-pandémique lorsqu’auparavant cela équivalait à travailler de longues heures ? Si les gens travaillent de manière plus flexible, leur salaire ne devrait-il pas être plus étroitement lié aux projets qu’ils réalisent plutôt qu’aux heures travaillées ? (Bloom a constaté dans son étude sur la Chine, par exemple, que les personnes travaillant à domicile étaient 13 % plus productives.) Et comment garantir que les personnes très performantes qui veulent également être des parents bienveillants ne soient pas pénalisées ?
Ces prochains mois sont critiques. Nous avons maintenant la possibilité de créer des organisations plus résilientes et de faire avancer le changement.
A PROPOS DE L’AUTEUR
Lynda Gratton est professeure de management à la London Business School et directrice du programme HR Strategy in Transforming Organizations de l’école. Elle est co-auteur du livre The New Long Life: A Framework for Flourishing in a Changing World, publié par Bloomsbury en mai 2020.
(Source : MIT Sloan Review – How to help employees work from home with kids)