Le 17 novembre dernier, Jean-Pierre Houppe, médecin cardiologue et sophrologue, nous a fait le plaisir d’être parmi nous lors d’une pause-café organisée par l’Optimisme.pro. Quels constats faire sur le stress en entreprise en cette période de crise ? Comment le gérer ? Quels sont les liens entre stress et infarctus ? Qu’est-ce que la cohérence cardiaque ? Voici quelques éléments de réponses issus de cet échange convivial avec le docteur Houppe.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
J’ai fait des études classiques de médecine puis je me suis orienté vers la cardiologie. J’ai beaucoup travaillé en chirurgie cardiaque où les gens sont « nus », le cœur ouvert et cela peut être très traumatisant. En voyant cet autre aspect de mon métier, plus psychologique, j’ai rencontré une autre partie de moi, plus humaine. Cela m’a pris du temps. J’ai fait une psychanalyse et me suis interrogé : « qui suis-je dans ce monde ? » Dans le travail psychanalytique, il me manquait la dimension corporelle. J’ai alors fait des études de sophrologie avec un bagage psychologique. J’ai également fait tout un travail de développement sur l’improvisation clown. Tout ceci m’a amené à envisager mon activité de cardiologie avec deux jambes : une première très scientifique car je suis un universitaire, une deuxième ouverte à tout. 30% des patients font un stress post traumatique suite à un infarctus. J’essaye alors d’avoir une vue plus holistique dans mon activité de cardiologie et depuis le 1er confinement, j’envisage de monter une consultation bien-être.
Bibliographie :
Burnout et prévention : quels constats actuels dans les entreprises ?
En l’espace de 10-12 ans, j’ai vu arriver une augmentation majeure de la souffrance et des difficultés au travail. Avec le développement de la technologie, on est dans une demande beaucoup plus importante à la fois de l’entreprise et du sujet lui-même.
Le 1er à avoir parlé du burnout est Claude Veil, un psychiatre [pionnier de la psychopathologie du travail] qui dans les années 59-60, a constaté que la souffrance au travail est due à la rencontre d’un individu avec une situation. Dans le burnout, il y a des facteurs internes et externes. Quand on a décrit le burnout en 1974, les premiers concernés n’étaient pas les salariés mais les bénévoles. Donc on se rend compte qu’il y a une question d’engagement qui est importante.
On oublie parfois le rôle de « patient expert » dans les entreprises : les salariés qui ont traversé un burnout au travail ont une expérience que les autres n’ont pas.
Le burnout peut être un mode de révélation pour autre chose, il n’a pas que des effets négatifs.
Pouvez-vous développer cette idée des effets positifs du burnout ?
Michel Delbrouck, médecin généraliste et psychanalyste, dans son livre sur le burnout, nous dit qu’il s’agit du dernier moment où un être humain qui travaille va pouvoir se poser la question du sens de sa vie. Cette situation permet de se dire que la maladie n’est peut-être pas qu’une chose négative. Il y a une question à résoudre : qu’est-ce qui m’arrive ? Qu’est-ce que je vais faire de ce qui me reste de vie ?
Intéressons-nous au mot « crise » : il signifie « danger » dans son sens latin et « opportunité » dans son sens grec. En grec, la « crise » c’est le moment ou jamais. La racine grecque du mot « catastrophe » signifie passer un cap, aller d’un endroit à un autre…Un burnout ou une maladie peut impliquer pour un individu de passer à un autre niveau psychologique énergétique pour voir les choses différemment.
Comment le stress agit-il ?
Il agit sur la santé de façon globale. Nous sommes construits avec un cerveau qui a évolué au cours du temps. Nous avons 3 cerveaux : reptilien, émotionnel et cognitif. Nous sommes persuadés que le cerveau cognitif est le plus important alors que nous sommes dominés par le cerveau reptilien. Notre cerveau est organisé pour la survie.
Le cerveau cognitif est le néocortex qui sert à sentir, bouger les mains, imaginer, penser…Il est au-dessus du cerveau émotionnel qui commande la peur, la rage, la colère ; et reptilien qui est là pour faire en sorte qu’on reste en vie.
Si on se fait agresser dans la rue, le cerveau reptilien provoque toutes sortes de réactions physiologiques, on sécrète des substances pour pouvoir s’adapter à la situation et réagir pour notre survie. Mais ces mécanismes peuvent être déclenchés en télétravail, tranquillement chez soi, alors qu’avec notre cerveau cognitif on imagine que notre patron souhaite nous mettre à la porte. Pour le cerveau reptilien, c’est réel et il va tout faire pour nous mettre en survie. C’est ce que moi j’appelle le syndrome du bazooka : on part à la chasse aux lapins avec une arme inadaptée en activant des comportements qui sont des réactions de survie, associées à des réactions chimiques qui vont être néfastes. Ceci favorise l’inflammation et la maladie, le cancer et les maladies cardiovasculaires.
Quels liens entre stress et infarctus ?
Une équipe américaine a publié une étude en 2017 pour observer la manière dont l’amygdale du cerveau émotionnelle fonctionne chez des personnes stressées en le corrélant au risque d’infarctus. On a découvert que parmi les facteurs de la maladie il y a le stress, l’anxiété, la dépression, la colère, la solitude, le manque de contacts sociaux, notre origine (rapport avec les parents), l’endroit où on vit…C’est un modèle biopsychosocial. Ce que nous vivons avec la crise de la Covid est l’archétype de ce modèle. Le virus est l’aspect biologique ce qui entraîne des phénomènes sociaux et psychologiques. L’anxiété majore le risque de mortalité.
Peut-on détecter une personne qui va faire un infarctus ?
C’est une question compliquée. Il y a 3 facteurs de risque :
- Les antécédents familiaux: si le père ou la mère a eu des problèmes cardiovasculaires relativement jeune
- L’âge
- Le sexe: on a vu une montée des infarctus chez les femmes jeunes ces dernières années qu’on ne voyait pas auparavant. Ceci est lié au mode de vie actuel des femmes.
La maladie cardiovasculaire se développe très progressivement sur les facteurs de risque qu’on ne peut pas changer et sur les grands poisons : le tabac, l’alimentation et le stress. On peut ajouter la sédentarité et le surpoids. Le 1er signe est une oppression dans la poitrine à l’effort.
Comment prévenir d’éventuelles maladies cardiovasculaires ?
Ne pas fumer, être actif, avoir une alimentation équilibrée. On peut rajouter : la qualité du sommeil et le stress. Ce qui va nous protéger : se reconnecter avec la nature et les animaux, c’est fondamental. Par exemple, avoir un chien après un infarctus diminue le risque de récidive de 40%. Le lien social est impératif ainsi que toutes les activités de relaxation (méditation, cohérence cardiaque…) ou créatives (chant, musique…). Et puis, rions ! Il est important d’avoir le sens de l’humour et de décaler un peu notre regard…
Pouvez-vous nous en dire plus sur la cohérence cardiaque ?
Notre cœur bat de façon automatique à 21 jours de vie intra-utérine. Cet amas de cellules, un système automatique, est régulé par de la chimie, le système endocrinien, le système nerveux et la respiration. Le cœur n’est jamais à fréquence fixe. Il est toujours en train de varier pour informer notre organisme. A l’heure actuelle, nous avons des moyens informatiques pour étudier cette variation : la variabilité sinusale. C’est un marqueur de santé physique.
La cohérence cardiaque est une méthode où on travaille sur la respiration. Le cœur d’un petit enfant s’accélère à l’inspiration et ralentit à l’expiration. La cohérence cardiaque consiste à se poser, à ralentir la respiration jusqu’à 6 cycles par minute. Plus on est stressé, plus la fréquence respiratoire est rapide. Pour pratiquer la cohérence cardiaque, on prolonge l’expiration (30% d’inspiration et 70% d’expiration). On peut y ajouter des méthodes de visualisation.
Ce travail sur le corps va influencer notre psyché.
Parmi toutes les méthodes de relaxation qui existent, que conseillez-vous en priorité ?
L’activité physique est un des meilleurs régulateurs du stress. Il ne peut pas y avoir de santé physique et mentale sans activité physique. L’être humain est un être de mouvement. Nous avons été programmés pour marcher et courir 50 km par jour, nous sommes des cueilleurs chasseurs à l’origine.
Il y a plus de 400 techniques et le danger est de papillonner. En clown, nous avons une expression : « quand tu as un sillon, tu le creuses jusqu’au bout. »
En méthode de prévention, mon conseil est d’utiliser ce qui vous fait du bien, un outil qui vous convient et qui est portatif (que l’on peut emmener partout) : yoga, méditation transcendantale, iridologie, EFT…L’idée est de persévérer…Il est toujours intéressant de se rapporter à un vécu émotionnel et corporel.
Si j’avais un conseil : se mettre à marcher, c’est physique, c’est un mouvement alternatif comme on peut faire en EMDR…Avant quoi que ce soit, allons marcher !