Quelques mois seulement après sa prise de fonction en tant que Happiness manager, Laurence Bouyer connaît une situation de crise. Son entreprise va mal, les salariés sont les premiers impactés.
Quel rôle peut jouer le Happiness manager dans une telle situation ? Comment gérer la crise ? Laurence revient sur les actions menées pour maintenir une certaine qualité de vie au travail et accompagner au mieux les collaborateurs.
Comment êtes-vous devenue Happiness Manager ?
Ayant une formation commerciale, j’ai débuté par des activités plutôt axées commerce, avec toujours un fort intérêt pour la Qualité de Vie au Travail. J’ai eu la chance de pouvoir concilier compétences et aptitudes personnelles en étant développeuse commerciale pour un cabinet qui mesurait la QVT.
Pendant cette période je me suis formée à la QVT et ses dimensions grâce aux outils proposés par la Fabrique Spinoza. Puis j’ai eu l’opportunité de travailler en tant que Happiness Manager dans une structure de 65 salariés, répartis sur 12 antennes en France, avec un siège social dans la région nantaise.
Quelles étaient vos missions et votre position au sein de cette structure ?
Mon cahier des charges de départ avait comme principales missions :
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Apporter des solutions concrètes pour améliorer les conditions de travail des collaborateurs,
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Créer un environnement porteur,
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Veiller à la bonne intégration des nouveaux collaborateurs,
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Etre médiateur pour rétablir les conflits et maintenir la QVT.
J’intervenais suite à une forte croissance de l’entreprise, croissance qui n’avait visiblement pas pris en compte la dimension humaine. J’avais pour missions d’éviter les conflits internes, de maintenir un bon esprit au sein de l’équipe et de rétablir un lien avec la direction.
De prime abord, toutes ces missions avaient du sens.
Comment votre arrivée a-t-elle été vécue dans l’entreprise ? Et vous, quelles ont été vos premières impressions ?
Les dirigeants m’ont présentée comme étant un électron libre, ne dépendant d’aucune hiérarchie. Cela a eu un avantage considérable car j’ai pu obtenir beaucoup plus vite la confiance des salariés.
Mais les premiers mois en tant que Happiness manager ont été assez difficiles. Les salariés avaient leur propre représentation du poste et j’ai eu du mal à trouver ma place et à faire valoir l’intérêt de mes actions.
Certains pensaient que j’allais empiéter sur leur poste, ou prendre les activités sympas auparavant organisées par d’autres services, comme mettre en place des événements en interne. Il y avait un défaut de compréhension sur ce qu’était la Qualité de Vie au Travail. J’ai alors décidé que la première action serait de former tout le monde sur ce sujet.
J’ai fait une présentation au Codir, au Comex, puis devant tous les salariés, en intégrant également comment je pouvais travailler avec les différents services de l’entreprise, et ce que je pouvais leur apporter.
Une fois ce cadre posé, j’ai enfin pu avancer dans mes projets car j’étais entendue et aidée par les collaborateurs. J’ai fait le tour de France pour rencontrer tous les salariés. Chaque visite en agence se terminait par des team building qui permettaient de fédérer les équipes et de mieux se connaître.
A l’issu de ce tour de France qui m’a permis de faire un état des lieux de la QVT, j’ai présenté à ma direction une « photographie » de l’entreprise en mettant en avant les points forts, les points faibles et un plan d’actions.
Mais cette situation a été de courte durée car après quelques mois, la crise est arrivée.
Je ne peux m’étendre davantage sur le sujet car même si l’entreprise a été en liquidation judiciaire, une enquête est en cours. Ce que je peux dire c’est que nous avons été confronté à 3 mois de non paiment des salaires, plusieurs visites du service de la répression des fraudes, une perquisition de la brigade financière, des appels et visites de clients désespérés qui menacaient de s’en prendre aux salariés ou qui menacaient de se suicider et tout cela sans aucun soutien de la direction et aucune directive pour faire face à la crise. Une crise extrême et complexe à vivre pour des salariés.
Mais alors comment être Happiness manager en situation de crise ?
C’est très intéressant. J’ai vu à quel point le nerf de la guerre est le salaire : si celui-ci n’existe plus, il n’y a plus d’activité, ni d’engagement de la part des collaborateurs. Les comportements changent radicalement. Les problèmes personnels qui surgissent nous faisaient vivre une situation encore plus dramatique.
La communication était coupée entre la direction et les salariés, j’ai essayé de maintenir cette relation en créant un projet où les deux parties devaient travailler ensemble, échanger et communiquer. Cela a marché… 2 jours !
J’ai également essayé d’obtenir de la part de la direction beaucoup plus de transparence sur la situation. Mais ce fut un échec.
Nous étions comme dans un bateau sur une mer déchainée, sans capitaine à bord et sans destination.
Je me suis demandée : que faire pour traverser cette crise le mieux possible, sans trop de conséquences négatives pour l’équipe ? Nous étions tous très inquiets et sous pression.
J’ai essayé de mettre en place des actions qui peuvent paraître illusoires par rapport à la situation mais mon objectif était de maintenir une cohésion d’équipe forte et une bonne entente. Il fallait pour cela évacuer les trop pleins émotionnels en leur proposant des activités qui défoulent ou détendent. Par exemple, j’avais trouvé un tunnel sous une autoroute qui faisait caisse de résonnance. Quand je sentais que la pression montait au sein de l’équipe, j’amenais mes collaborateurs dans le tunnel, je les faisais vider leur sac en criant, cela résonnait et finissait par nous faire rire. Cela les « déchargeait » émotionnellement. J’ai également installé un punching ball que j’avais dans mon grenier et qui a servi tous les jours.
Pour les détendre, j’ai négocié les prix d’un masseur professionnel pour ceux qui voulaient en bénéficier.
Pour contrer le bore-out grandissant dans l’entreprise, c’est-à-dire l’épuisement par l’ennui, j’ai fait un recensement des compétences de chacun pour qu’ils puissent échanger leur savoir-faire et s’auto former. On est également beaucoup allé marcher au bord d’une rivière, on a fait du sport, etc.
Comment avez-vous réussi à mener ces actions dans un climat aussi tendu ?
C’était nécessaire ! J’ai essayé d’obtenir de l’aide au début, en contactant la SSTRN pour avoir des soutiens de la part de psychologues du travail. Soutiens que je n’ai pas obtenus car cela sortait de leur champ d’action. J’ai contacté d’autres professionnels privés et ainsi appris que certains collaborateurs pourraient être en situation de stress post-traumatique, suite à ce qu’il se passait.
J’ai donc souhaité créer un groupe de paroles encadré par un psychologue du travail, avec tous les salariés pour transformer ce qu’on vivait en quelque chose de positif et voir comment on pouvait rebondir. Malheureusement ce groupe encadré n’a pas pu être mis en place, faute de prise en charge financière. Heureusement, la très bonne ambiance au sien de l’équipe, nous permettait de parler facilement et librement, ce qui était un premier pas pour avancer.
Ces actions dépassaient clairement mon rôle de Happiness manager, cette situation de crise était assez extrême. Le bilan sur mon expérience d’Happiness Manager qui aura duré même pas un an, aura été très riche. J’ai beaucoup appris sur ce métier en devenir, notament les conditions de réussites de ce poste et ses limites.
Aujourd’hui que comptez-vous faire ?
Malgré la crise vécue au sein de l’entreprise, j’adore le métier de Happiness manager, très riche de sens. Je pense avoir été utile aux autres dans ma mission et j’ai eu d’excellents retours de la part d’anciens salariés.
Pour aller plus loin, je retourne en fac pendant un an pour passer un diplôme de coach professionnel et disposer d’outils qui me permettront de bien appréhender les situations individuelles et d’accompagner les personnes.
Riche de cette expérience et parallèlement à la formation, je me lance en indépendante pour vivre des missions QVT au sein des entreprises. Je reste convaincue que la qualité de vie au travail du salarié est source de performance collective.
Un conseil QVT à nos lecteurs ?
Attention aux choses qui brillent car quand elles s’éteignent, le noir paraît encore plus noir. Je fais référence ici aux actions qui peuvent faire illusion (babyfoot, …) mais ne résolvent pas les problèmes plus profonds comme le management, la reconnaissance, etc.
Je pense également qu’on ne doit pas imposer la QVT en entreprise, il faut la proposer aux salariés qui en disposent. Les meilleurs idées viennent des salariés eux-mêmes et le rôle d’un Happiness manager est de permettre leur réalisation et créer les conditions de succès.