L’intelligence collective, un des sujets du moment. Quels en sont les tenants et aboutissants ? Comment déployer une telle démarche en interne ? Rencontre avec Antoine Brachet, « Directeur de l’intelligence collective » chez Bluenove.
Mettons les pieds dans le plat dès le démarrage : Antoine, l’intelligence collective, n’est-ce pas antinomique avec le monde de l’entreprise d’aujourd’hui ?
Nous croyons chez Bluenove que les organisations les plus performantes demain seront celles qui feront levier d’intelligence collective. De fait, ce n’est pas antinomique. C’est être visionnaire que de l’actionner.
Quand je t’ai demandé ce qu’était l’intelligence collective, tu m’as souvent répondu 1+1=3…
Effectivement. Sous certaines conditions, ce n’est pas un cliché. Le pari de l’intelligence collective, c’est le pari de l’intelligence de tous. 1 n’est pas 1 : il est beaucoup plus que ça quand on le libère de ses chaînes et quand la voix de tous est exprimée et mise en cohérence avec d’autres.
L’intelligence collective c’est donner la voix à tous et ainsi démultiplier le nombre d’idées et leur puissance.
Des conditions doivent être respectées, et notamment un engagement de suivi pour que chacun puisse prendre connaissance des idées qui sont retenues au terme du processus.po
L’entreprise n’a-t-elle pas, pendant des années, précisément fait taire le salarié ?
On s’apprête à fermer une petite parenthèse dans l’histoire durant laquelle le taylorisme a incité le plus grand nombre à « laisser son cerveau au vestiaire ». Cet âge se termine, notamment avec l’évolution des technologies. Aujourd’hui le monde est à plat. On peut communiquer avec tous beaucoup plus aisément… y compris avec sa hiérarchie !
Il s’agit d’une vraie valeur pour l’entreprise de demain.
Faire appel à l’intelligence collective pour inventer l’entreprise de demain, en quoi cela consiste-t-il ?
A faire confiance aux salariés. Pendant des années on a enfermé les collaborateurs dans des cases. Aujourd’hui tout l’enjeu est de faire comprendre au collaborateur qu’il a plus de richesses en lui que ce qu’il pense, et qu’il peut participer au débat. La contrepartie est que chacun se responsabilise.
Les entreprises changent de dimension. Elles deviennent des parties prenantes de la collectivité, face aux enjeux planétaires que nous affrontons. Et leurs collaborateurs sont la ressource clé ! Je suis salarié, mais je suis aussi citoyen.
N’est-il pas aussi logique de demander aux salariés de l’entreprise d’inventer leur entreprise de demain qu’à un cabinet de conseil extérieur ? Nous avons par exemple fait écrire à 150 000 collaborateurs la stratégie à 5 ans de leur société.
Et cela marche ? Tout le monde participe vraiment ?
Naturellement, l’organisation d’une entreprise n’est pas préparée à ça. Le salarié, en plus de verrous mis par l’entreprise s’est lui-même mis des verrous mentaux. Nous avons travaillé une méthodologie et une plateforme logicielle (Assembl) en partenariat avec le MIT permettant d’activer l’ensemble des collaborateurs. L’humain est aussi important que la technologie pour faire avancer un débat.
Aujourd’hui nous avons déployé avec Bluenove quelques dizaines de plateformes dans des types d’organisations variées (entreprises, ministères, associations).
Le retour est frappant. Quand on propose à l’ensemble des acteurs d’une organisation de participer à un débat global, au delà des contenus souvent très novateurs créés, on note un véritable changement de mindset de l’ensemble des participants.
Souvent on parle du blocage du Middle Management difficile à faire évoluer, est-ce un fantasme ou rencontres-tu vraiment des freins ?
Il y a 4 ans, quand je parlais d’intelligence collective, cela pouvait faire peur ou paraître trop futuriste. Aujourd’hui, il existe une nouvelle grille de lecture, notamment du middle management. C’est être un leader que d’ouvrir la porte à l’intelligence collective et de donner la parole à l’ensemble des équipes.
Tu indiques qu’il y a 2 leviers pour activer l’intelligence collective, quels sont-ils ?
Dans les deux cas il ne s’agit pas d’un appel à idée, mais d’un appel à conversation. Cette notion est très importante. Lorsque la conversation est ouverte, vous pouvez librement vous exprimer, en adulte, et rebondir sur les idées des autres participants afin de faire évoluer votre réflexion. Ensuite chacun à deux hémisphères de cerveaux, nous faisons appel aux deux !
1/ La partie rationnelle, avec l’essai.
Il s’agit de poser une question ouverte ou alors de définir un cadre et d’inviter ceux qui le souhaitent à répondre. Par exemple : « selon vous quels sont les principaux changements qui vont impacter votre entreprise ? ». Puis d’accompagner l’évolution du débat en fonction des contenus proposés par tous.
2/ La fiction
Le pouvoir de la fiction est extraordinaire, par exemple pour « inventer la ville de demain ». Nous avons, avec une auteur de science-fiction, permis à 300 personnes de co-créer des scénarios optimistes, pour contre-balancer les dystopies à la « Blackmirror », le projet s’appelle d’ailleurs « Brighmirror ». Cela libère les potentiels créatifs chez tous les écrivains d’un jour !
Vous assemblez ensuite les scénarii ?
Les auteurs mettent en ligne leur production sur une plate-forme qui s’appelle Assembl. La première analyse est faite par l’intelligence artificielle. En scannant les articles, elle va analyser la taxonomie, et extraire les concepts, les actions possibles proposées, les exemples cités.
Ensuite, vient le regard humain bien supérieur à celui de la machine pour analyser la donnée et en extraire le sens.
Quels sont les retours ?
Nous pensons être un révélateur de l’intelligence humaine.
Au-delà de l’inclusion du collaborateur, de la responsabilité qui lui est donnée, cela permet de révéler les talents. L’IA peut indiquer que telle personne de la comptabilité a un fort potentiel d’idéation, que telle autre a un esprit analytique. Une vraie révélation des potentiels de chacun.
Quelle est ta vision avec Bluenove ?
Un de mes engagements est de libérer les gens pour qu’ils prennent conscience de leur pouvoir. Quand on propose d’inventer des scénarios de fiction, on fait sauter les barrières morales, physiques, technos… Et on découvre la pleine potentialité de chacun.
La transformation nous amène vers une ère de la responsabilisation de tous. Aujourd’hui, soit l’entreprise fait l’autruche, soit elle y va.
Dernière question : bientôt l’ère de l’Open-washing ?
Il faut faire attention au syndrome de Monsieur Jourdain. Parfois, on veut pratiquer l’intelligence collective sans en comprendre les tenants et aboutissants.
Nous réfléchissons aujourd’hui à une charte : droits et devoirs des participants et de ceux qui leur demandent de s’exprimer. Nous pensons y intégrer le devoir de feedback et d’autres enjeux clefs.
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