De nombreux modèles théorisant le bien-être au travail et la QV(C)T existent. Et je reçois chaque jour de nouvelles études (plus ou moins sérieuses) sur le sujet dans ma boîte mails… Si les déterminants d’une culture d’entreprise saine peuvent varier (en fonction des cultures/pays par exemple), un sujet reste toujours central et non opposable : la qualité du lien entre collègues.
Swile m’a proposé, à l’occasion de la semaine de la QVT, de rédiger une série d’articles dans leur calendrier RH. Il me semblait évident d’aborder cette thématique.
Offrir des cadeaux pour faire venir les salariés sur site...
Commençons par une anecdote. Nous sommes en novembre 2019. Je suis à Los Angeles. Un géant de l’informatique américain me propose de donner une conférence sur l’optimisme auprès des équipes. Après avoir défini le déroulé du propos, ils me demandent si j’ai des cadeaux à offrir aux collaborateurs. Ayant l’habitude que les entreprises commandent des livres suite aux conférences, la question ne me surprend pas. Mais mon livre n’étant pas encore publié en anglais je n’ai rien à proposer. Je les vois embêtés.
« Il nous faut trouver un cadeau pour faire venir les collaborateurs sur site ».
Je comprends alors que les collaborateurs ne viennent plus sur site : il faut les attirer et leur donner une « récompense » pour leur déplacement (en plus de la conférence…).
La scène se déroule avant les confinements : il ne s’agit à l’époque nullement d’une peur ou d’un contrecoup lié au covid qui fera son apparition quelques mois plus tard. Je suis abasourdie par le propos.
J’en parle le soir aux amis qui m’hébergent, pas le moins du monde surpris. Ils m’expliquent qu’à LA, « le combo Netflix + Uber Eats incite à rester chez soi ! », ils notent même une baisse de fréquentation dans le centre commercial à côté de chez eux.
Je commence à m’affoler sur le sujet. Est-il possible que de telles pratiques arrivent en France ?
Bien-sûr, nous n’en sommes pas encore là, Uber Eats ne dessert pas ma campagne normande et tout le monde n’a pas les moyens de commander des plats en ligne chaque soir, mais vers quelle société nous dirigeons-nous ?
L’importance du lien social
Les études sur l’importance du lien social sont pléthoriques. Une des conférences TED les plus partagées au monde concerne d’ailleurs ce sujet. Robert Waldinger, un chercheur de l’Université de Harvard y partage les conclusions de l’étude Grant qui a suivi la vie de 724 hommes pendant plus de 75 ans pour définir la clef du bonheur. Et elle réside dans la qualité de nos relations plutôt que dans la richesse ou le statut social.
Les personnes ayant des liens sociaux et des relations de qualité seraient plus heureuses et en meilleure santé que les autres.
Dans le monde professionnel, c’est notamment le soutien social qui permet aux collaborateurs de faire face au stress.
Depuis cette expérience à Los Angeles, le télétravail (qui a par ailleurs ses vertus) s’est imposé en France sans forcément être accompagné.
Mesure-t-on l’impact d’une réunion qui se passe mal quand on est en télétravail ? Pas de collègue pour échanger à la machine à café et redescendre en pression. Remarque-t-on une dépression qui s’installe ? L’informel et le subtile passent-ils la barrière de l’écran ?
Et globalement ? Quelles sont les conséquences d’une société qui invite de plus en plus à l’isolement ?
Internet, censé nous ouvrir sur le monde, nous renferme sur notre propre vision de nous-mêmes. L’algorithme nous propose ce que nous avons envie de voir. Nous plongeons dans des jugements de plus en plus binaires. Sans rencontre à la machine à café, on a vite fait de juger son collègue, de le mettre dans une case, voire d’oublier qu’il existe..
Les entreprises n’auraient-elles pas un rôle sociétal ? Celui de permettre de créer du liant entre des citoyens qui ne se ressemblent pas.
Mais comment faire ?
Encore un sujet impossible me direz-vous… C’est certain : créer du lien entre les salariés n’est pas chose évidente, d’autant que la Société ne nous pousse pas franchement à la rencontre de l’autre.
1/ La formation
J’ai l’impression de tomber, pour chacun de mes articles sur la même conclusion : cela passe avant tout par des campagnes de sensibilisation et de formation.
Certaines entreprises ont pu tomber dans la caricature. Non, il ne s’agit pas d’imposer aux collaborateurs d’être “potes” et je ne crois pas une seconde aux entreprises qui imposent d’aller boire des coups sous couvert de « si tu ne viens pas, c’est que tu n’as pas l’esprit d’équipe ».
La première étape me semble consister en la sensibilisation au sujet. Si personne ne vous en fait prendre conscience, vous ne réalisez pas forcément l’impact du manque de liens sur votre santé mentale, sur votre vision du monde, sur votre stress, etc…
Pour aller plus loin, on peut penser à des formations sur les biais cognitifs, sur l’écoute active, sur l’intelligence collective…
2/ Les espaces d’échanges
Le challenge est ensuite de créer des espaces et un climat d’entreprise où les collaborateurs sont ouverts à la différence. Autant le dire, un teambuilding annuel ne compensera jamais l’arrogance de certains managers ou une culture d’entreprise où règne la défiance. Formation et teambuiling vont de paire.
Il est important de penser à créer des espaces de rencontre au-delà de la casquette métier. On peut évidemment penser à la musique (les chorales, les team building musicaux) ou encore au sport (les courses pour des associations, etc) qui sont de puissants leviers fédérateurs.
Des team-building sont également spécialement construits pour susciter des échanges. Je pense par exemple à un jeu de la société UrbanGaming : après avoir rempli un questionnaire (est-ce que vous avez des tatouages, est-ce que vous jouez aux échecs, est-ce que vous aimez le tricot… ), l’algorithme met autour de la table (ou en digital) des personnes qui partagent un point commun et ils doivent deviner lequel avant d’échanger. Un formidable moyen de sortir des silos de l’entreprise !
Le lien : un sujet sociétal
Je répète souvent que je suis convaincue qu’être RH, c’est être au cœur de la transformation des sociétés. Mais c’est également être au cœur de la transformation de la Société…