L’équipe de l’Optimisme travaille depuis déjà 4 ans avec Stéphane Malherbe, le fondateur d’Offiscenie, entreprise accompagnant l’évolution de l’environnement de travail des entreprises. Au coeur du sujet depuis près de 20 ans, il fait partie des experts dont nous écoutons les analyses. Depuis des mois, nous partageons les nombreuses études sur le sujet du télétravail. Cette rentrée, il nous semble important de donner la parole à ceux sur le terrain au quotidien. Le télétravail : quête de sens ou crise de l’individualisme ? Rencontre.
Stéphane, tu fais partie de ceux qui côtoient au quotidien les DRH, offices managers, assistant(e)s… Tu vois ce qui bouge dans les entreprises. Quel est ton avis sur le télétravail ?
Je crois qu’il n’est plus l’heure d’avoir un avis binaire sur le télétravail et il faut sortir de cet état de POUR ou CONTRE le télétravail.
Le télétravail a des avantages réels et des inconvénients tout aussi réels, que ce soit pour les salariés ou pour les entreprises. Et on voit le sujet abordé en long en large et en travers dans la presse. Il semble qu’on ait cependant oublié de s’interroger sur le sujet en tant que tel. Est-il le vrai sujet ? Ne cache-t-il pas un malaise beaucoup plus grand ?
Une des vraies questions à se poser serait plutôt :
Le télétravail est-il le marqueur d’une quête de sens ou du renforcement de l’individualisme ?
Tu parles d’une « crise de l’individualisme » ?
On n’ose pas le dire ou à demi-mot mais le télétravail reste un sujet qui concerne peu de salariés et ceux qui ont le choix. Il me semble important de rappeler que tout le monde ne peut pas partir travailler au vert : ceux qui sont partis sont ceux qui avaient les moyens du changement. On peut bien-sûr les comprendre et il n’est pas l’heure de juger les choix des uns et des autres mais de s’interroger sur le phénomène.
Au delà des changement de vie individuels pour se rapprocher de la nature, il y a la question de notre rapport aux autres. Ces démarches individuelles questionnent avant tout le sens que nous avons aujourd’hui du collectif.
Je l’évoquais dans un précédent article : certains cadres ont déménagé, parfois sans même prévenir leurs RH. En étant persuadés de travailler seulement 2 jours par semaine en présentiel, ils sont partis loin des villes. Aujourd’hui des RH se retrouvent au pied du murs, aucun accord n’est signé, mais déjà les salariés ont déménagés. Il faut oser le dire : l’expatriation au vert est un mouvement individualiste.
Selon toi, quelle est la juste mesure entre l’individualisme et le collectif ?
Il s’agit d’une question qui ne date pas du Covid. Notre société nous a progressivement fait perdre le sens du collectif.
Une des questions à se poser est « est-on concerné par les autres ou pas ? ». Doit-on parler d’éthique et d’équité ? Certaines entreprises refusent aux cadres le télétravail par solidarité avec ceux qui ne peuvent pas se le permettre. Cela a-t-il un sens ou non de faire ça ?
Quelles conséquences sur les équipes quand on voit son manager travailler depuis son jardin au vert et qu’on doit soi-même aller sur site après 2 heures de transport car c’est trop bruyant à la maison ?
Il n’y a pas de juste réponse mais des questions.
Les question sous-jacentes sont celles du collectif.
Pourquoi peine-t-on à aller sur site même pour 2 jours par semaine ? Ne devrait-on pas être heureux de revoir ses collègues ? Ne devrait-on pas avoir envie de participer à l’émulation collective d’un projet qui résonne avec nos valeurs ? Si notre système familial suffit à notre épanouissement, est-ce le cas pour nos collègues et doit-on s’en préoccuper ?
Encore une fois, l’enjeu n’est pas de blâmer ceux qui font ce choix, mais de questionner les conséquences sur notre société.
Mais les salariés le demandent…
C’est certain, le télétravail est tentant à de multiples égards. Ce qui fait envie au plus grand nombre n’est pour autant pas forcément une nécessité. Les médias semblent acter le télétravail mais certains de mes clients commençant déjà à faire marche arrière…
Je ne dis pas qu’à l’inverse il ne faut pas de télétravail, mais qu’il s’agit de trouver la balance entre individuel et collectif. Il s’agit de s’interroger sur ce que cela peut créer vs détruire à long terme.
Je dirais que le télétravail a aujourd’hui plus de bénéfices individuels à court terme mais plus d’inconvénients collectifs à long terme.
Tout l’enjeu est que chacun en soit conscients. Le lien fait partie de l’équilibre de l’être humain et le lien virtuel n’est, quoi qu’on en dise pas le même. Nous devons rester vigilants et accompagner correctement ce questionnement du télétravail et regarder au-délà du simple débat du pour ou contre…