Emile Servan Schreiber Docteur en psychologie cognitive
Les groupes ont leur propre intelligence ; on sait depuis peu mesurer leur QI. Mais pourquoi les groupes plus féminins sont-ils plus sagaces ? Comment invoquer la sagesse d’une foule en évitant les pièges du conformisme ? Pourquoi la diversité nous rend-t-elle plus intelligents ? Comment notre intelligence « supercollective » rend-elle nos entreprises plus performantes ?
Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre parcours ?
J’ai toujours été passionné par l’intelligence. J’ai commencé dans l’informatique dans les années 80. Je me suis intéressé spécifiquement à l’utilisation de l’informatique pour modéliser de façon algorithmique la pensée humaine.
Dès lors vous vous intéressez à l’intelligence collective ?
Effectivement. En psychologie cognitive, on se retrouve devant un cerveau de 100 milliards de neurones, individuellement pas très malins. L’intelligence est collective.
Pourtant notre cerveau peut être intelligent ! Notre cerveau a une plus grande puissance de calcul (en nombre d’opérations par seconde) que trente supercalculateurs chinois, ce qui équivaut à plus d’un demi-million de play-stations, c’est dire à quel point il est puissant ! Une puissance infinie par rapport aux technologies… mais la puissance de calculs ne suffit pas.
C’est pour cette raison que vous parlez du QI d’un groupe.
La science de l’intelligence collective a démarré il y a à peine 10 ans quand on a commencé à mesurer le QI d’un groupe. Quand on fait passer des tests de QI à des groupes, on obtient des groupes plus ou moins intelligents.
Le QI d’un groupe est aussi tangible qu’un QI individuel.
Comment construit-on un groupe intelligent ?
Ce n’est pas l’addition des QI individuels qui fait le QI du groupe. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’il y a des gens intelligents que le groupe sera intelligent. La qualité de la performance d’un groupe est l’addition à la fois de la performance individuelle et de la vérité des points de vue exprimés dans le groupe.
Plus vous augmentez la diversité des opinions, plus la moyenne de toutes les estimations est bonne et proche de la réalité.
Les groupes plus féminisés fonctionnent mieux.
- Les femmes réussissent à mieux répartir le temps de parole.
- Elles ont en général une meilleure empathie.
Quotient intellectuel et quotient émotionnel seraient donc reliés !
Nous avons souvent opposé le Quotient Émotionnel (QE) au Quotient Intellectuel (QI). En réalité les deux sont très liés : le QE individuel va créer le QI du groupe.
Cela veut-il dire qu’il ne faut plus de hiérarchie ?
On ne peut pas remplacer le décideur par le collectif. Il faut encore des points de décision. En revanche, il faut donner l’opportunité au terrain de remonter son intelligence. Les avis doivent être pris en compte, pas forcément tous suivis, mais pris en compte objectivement et sérieusement.
À l’ère de l’intelligence artificielle, a-t-on encore besoin d’intelligence humaine ?
Pour la plupart des sujets concernant les affaires humaines, l’intelligence artificielle est totalement nulle. L’IA repose sur des datas ou sur des règles très précises. Dans la vie réelle, cela ne marche pas comme ça.
Pour une entreprise ou une démocratie, il faut mieux organiser l’intelligence collective humaine.
“L’enjeu, aujourd’hui, n’est pas de combien il faut investir dans l’intelligence artificielle mais comment mieux utiliser l’intelligence humaine.”
Pouvez-nous nous décrire cette nouvelle ère de l’intelligence collective que vous nommez le super collectif ?
La révolution numérique permet le rapprochement des cerveaux, une véritable rupture dans les capacités d’innovation de l’humanité et des organisations. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité on peut capitaliser sur cette intelligence collective.
Tous les grands succès du numérique de google à Uber, en passant par Wikipedia reposent sur l’organisation de l’intelligence collective. Si l’algorithme est malin, c’est parce qu’il organise l’intelligence collective.
Un message à faire passer?
L’intelligence supérieure est collective. La vraie révolution de l’intelligence au XXIème siècle est de celui de l’organisation de l’intelligence collective.
Docteur en psychologie cognitive (Carnegie Mellon), Émile Servan-Schreiber a été journaliste et ingénieur en intelligence artificielle. Depuis vingt ans, à la tête de Lumenogic et d’Hypermind, il partage son temps entre la recherche sur l’intelligence collective et ses applications pratiques au service d’entreprises et de gouvernements.
Retrouvez le livre d’Emile Servan Schreiber:
Supercollectif. La nouvelle puissance de l’intelligence collective.