Avant de vous proposer la lecture de cet article, notre équipe tient à remercier Laurine Lemaistre pour sa confiance. Nous lançons régulièrement des appels à témoins sur le sujet de la santé mentale au travail et recevons chaque fois de nombreux messages. Pour autant évoquer publiquement le sujet n’est pas facile et peu l’osent. Dans cette interview unique et rare, Laurine brise l’omerta et nous parle de son parcours qui fait d’elle une DRH singulière et engagée. Un acte courageux qui, nous l’espérons, ouvrira la voie à d’autres
Laurine Lemaistre
DRH - Chambre des Métiers et
de l’Artisanat Normandie
Laurine, peux-tu nous parler de toi en quelques mots ?
Je m’appelle Laurine et je suis Directrice des Ressources Humaines à la Chambre des Métiers et de l’Artisanat en Normandie qui compte plus de 500 collaborateurs. La direction RH est composée d’une dizaine de personnes.
A titre personnel et du plus loin que je m’en souvienne, j’ai toujours cherché qui j’étais. Mais malgré un mal-être grandissant au fil des ans, je donnais le change, rendant cette souffrance invisible aux yeux du monde extérieur. J’étais une sorte de caméléon qui réussissait à s’adapter.
Aujourd’hui, tu oses parler de santé mentale en brisant le tabou et témoignes de ton expérience. Peux-tu nous partager ton parcours ?
J’ai commencé la thérapie à 16 ans. Longtemps je n’ai pas compris pourquoi, alors que j’avais tout pour être heureuse, j’étais dans un tel état de souffrance. Je me pensais folle. J’étais d’ailleurs persuadée que je ne vivrais pas très vieille. Je savais qu’un jour je serai fatiguée de chercher pourquoi je me sentais si différente.
Fin 2020, j’ai eu un grave accident de cheval qui m’a valu 3 mois de convalescence durant une période de ma vie personnelle et professionnelle où j’étais déjà en perte de repère et de contrôle. J’avais toujours eu un rapport curieux à l’alimentation depuis l’enfance mais cette période compliquée m’a plongée dans l’anorexie mentale de type restrictive : j’ai dû être hospitalisée en juin 2022. C’est à l’hôpital qu’après m’avoir observé pendant une semaine la psychologue m’a parlée pour la première fois du TSA : trouble du spectre autistique. L’anorexie pouvant être une comorbidité du trouble autistique.
On m’a proposé de passer des tests qui ont confirmé un diagnostic de trouble autistique de haut niveau, puis un TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité).
C’est donc à 35 ans que j’ai mis des mots sur mes différences et que j’ai pu retracer le fil de ma vie : enfin cela faisait sens.
Pourquoi ouvrir la parole et témoigner aujourd’hui du sujet ?
Le sujet de la santé mentale est tabou dans le monde professionnel, or il me semble hypocrite de ne pas en parler. La santé mentale concerne tout le monde.
En tant que DRH, cela me touche profondément. Les collaborateurs n’osent pas en parler car ils pensent que cela peut leur être préjudiciable. Ce n’est pas parce qu’on a un trouble de la santé mentale qu’on ne peut pas avoir une vie de famille ou professionnelle.
Tu as utilisé récemment les réseaux sociaux pour libérer la parole. Peux-tu nous en dire plus sur cette démarche ?
Dans le cadre de la journée nationale de sensibilisation aux Troubles du Comportement Alimentaire qui est fixée le 2 juin, j’ai rédigé pour la première fois un post sur mon compte Instagram pour partager l’envers du décor et les aspects moins reluisants de ma vie en publiant une partie de mon histoire avec les TCA avec une photo de mon corps pendant mon anorexie
Nous avons tous des faiblesses. Et je suis convaincue que si on ose montrer son mal-être, cela permet aussi à d’autres de s’ouvrir et de chercher de l’aide.
J’ai décidé de partager des éléments de mon parcours. Je me serais sentie hypocrite de parler d’ouverture de la parole sur le sujet de la santé mentale sans le faire à titre personnel.
Qu’est-ce que ces diagnostics ont changé pour toi ?
Ma vie a changé le jour où j’ai reçu mon diagnostic.
Certaines personnes vivent des années en se demandant si elles sont folles. Aujourd’hui, j’encourage davantage les collaborateurs à assumer ce qu’ils sont, avec ou sans diagnostic.
Tu as mentionné que tu ne considères plus ta santé mentale comme une source de honte mais plutôt comme une force. Quel fut le cheminement ?
Effectivement. Aujourd’hui, je sais que je suis « câblée » différemment, et cela fait partie intégrante de ma personnalité, de ce que je suis. Pour moi, la clé est de me dire « je suis comme ça ». C’est une particularité mais aussi une force.
Tu as discuté de ta santé mentale avec ton Secrétaire Général et ton Président. Quel impact cela a-t-il eu sur ton travail et ta relation avec eux ?
J’ai abordé le sujet avec mon Secrétaire Général environ 4 à 6 mois après ma sortie de l’hôpital. Nous avons une relation de travail basée sur la confiance et le respect, il m’a semblé, quand j’en ai été prête, naturel de lui en parler. J’en ai également parlé ouvertement avec mon Président récemment pour obtenir son aval sur le fait que ma fonction au sein de la CMA Normandie pouvait être citée lors de l’événement que vous organisez le 29 juin.
Je préférais également qu’il apprenne mon « atypie » de ma bouche plutôt que par l’intermédiaire des réseaux sociaux.
Cela n’a rien changé car ils connaissent mes compétences.
J’en ai également parlé à quelques personnes en interne. Certains étaient si surpris qu’ils ont d’abord pensé à une blague ! Je pense que l’anorexie pouvait se voir mais je camouflais bien le reste.
En tant que DRH, tu mets en place des actions pour promouvoir la santé mentale au sein de la CMA, peux-tu nous en parler ?
En tant qu’employeur, nous avons la responsabilité de créer un environnement favorable au bien-être de nos collaborateurs et il ne s’agit pas seulement du bien-être physique mais aussi mental. Et cela demande la mise en place de nombreuses actions.
Nous avons mis en place avec les services de la médecine de santé au travail, une sensibilisation à destination de mon encadrement aux Risques Psychosociaux (RPS). Nous avons une référente RPS et une adresse e-mail dédiée.
Nous avons commencé à former les managers car ce sont eux qui sont les plus proches des collaborateurs et qui peuvent repérer une détresse psychologique.
Pour aider nos collaborateurs à prendre soin de leur santé et de leur bien-être au travail comme à la maison, nous proposons un service annuel de prévention de santé en ligne dont les thématiques abordées changent tous les mois.
Nous communiquons également sur les ressources disponibles. Nous avons mis en place un baromètre social et des services tels que l’accompagnement psychologique anonyme. Mon rôle est de m’assurer que les collaborateurs aient accès à l’information et aux professionnels compétents.
Si nous ne pouvons pas fournir une aide en interne, les collaborateurs doivent savoir que nous mettons en place des initiatives pour les soutenir.
Merci encore à Laurine pour ce témoignage qui donne de l’espoir. Laurine sera une des invitées de la table ronde que nous organisons le 29 juin à Paris (à destination des RH et managers qui souhaitent s’impliquer sur le sujet en interne). Les inscriptions sont gratuites mais il ne reste plus que quelques places…
A tous : si vous ressentez le besoin de vous faire accompagner, n’hésitez pas à contacter un professionnel de santé. En cas d’idées suicidaires, vous pouvez joindre le 3114, la ligne nationale de prévention du suicide ouverte 7j/7 24h/24.