C’est à côté de Nantes que Christian Caillé et son associé crééent DeltaMeca en 2008, avec pour volonté de valoriser les métiers manuels de l’industrie. Cette société de 48 salariés, spécialisée dans l’usinage, a progressivement décidé de changer d’organsiation, pour devenir une SCOP avec un objectif bien précis : permettre aux salariés de pouvoir racheter leur entreprise !
Aujourd’hui la transmission est assurée.
En 2020, deux collaborateurs prendront officiellement la direction de DeltaMeca.
Pourquoi la transmission d’entreprise est un sujet qui vous tient à cœur ?
C’est un sujet dont on parle peu. Sur 10 ans, 600 000 entreprise seraient en quête de repreneur ou de successeur. Et chaque année, sur 185 000 entreprises suceptibles d’être cédées, seules 60 000 sont mises en vente et la moitié seulement trouveront une succession fiable sur les 5 ans ! (selon le rapport « Favoriser la transmission d’entreprises en France » de 2016)
De nombreuses organisations comme les CJD ou les Réseaux Entreprendre ont comme vocation l’accompagnement à la création et à la reprise d’entreprise, mais aucune n’agisse sur la succession par les salariés. Il y a très peu de travail là dessus. Nous souhaitons faire prendre conscience de cet état de fait. 600 000 entreprises vont avoir le problème et on peut imaginer les milliers de chômeurs qui vont apparaître !
Une des raisons à ce phénomène est le manque d’anticipation. Il faut se donner les moyens de préparer la succession. De notre côté, nous avons cherché dès le départ un modèle d’entreprise avec une gouvernance partagée où les salariés seraient actionnaires de leur entreprise. Nous avons étudié l’entreprise libérée, mais cela ne nous convenait pas. Dans les exemples que l’on a vu, aucun salarié n’était sociétaire ou intéressé aux résultats par exemple.
On s’est alors intéressé aux SCOP malgrè les aprioris et idées reçus autour de cette forme d’organisation. En fouillant un peu le sujet, nous nous sommes rendus compte qu’il y avait beaucoup de méconnaissances, et surtout nous ne voulions pas réinventer un système qui fonctionne déjà plutôt bien.
Au moment même de la création de Delta Meca en 2008 vous envisagiez donc déjà sa succession ?
A la création de l’entreprise, mon associé et moi portions une vision : nous voulions que tous les salariés soient intéressés aux résultats. En SCOP, il y a une répartition tout à fait équitable et qui a pour nous un sens profond. A l’époque, nous n’étions pas du tout acculturé. Nous sommes des techniciens à la base, pas des chefs d’entreprise. Cela nous semblait donc utopique au moment de la création ! Nous voulions donc dans un premier temps faire nos preuves.
En 2008, j’avais 48 ans et plusieurs années d’expériences dans l’industrie, sur le bassin nantais. Deux choses me tenaient particulièrement à cœur : le fait de partager avec les gens et de valoriser nos métiers.
Quelles ont été les étapes pour réussir la transmission de votre entreprise ?
Pendant 4 à 5 ans, on s’est consacré à la montée en puissance de l’entreprise et à la rendre crédible. Nous avons étoffé les savoirs faires et les techniques. Quatres ans après la création, nous avons commencé à nous intéresser à différents modèles d’entreprise. Nous avons participé pendant 2 ans à une Chaire sur la RSE et on est allé voir autour de nous ce qui se faisait.
En 2015, nous avons porté notre attention sur la SCOP, et l’avons proposé à nos salariés. L’URSCOP est intervenu pour démystifier ce modèle et sensibliser la majorité des salariés à la gestion d’entreprise, à la comptabilité, … Nous avons également travaillé sur les nouveaux statuts de la gouvernance, écrit une charte, etc.
La procédure est simple : cela commence par une vente de l’entreprise puis un rachat par les salariés. On devient alors tous salariés avec des fonctions différentes. Nous avons créé un Conseil d’Administration composés de 9 collaborateurs. Nous avons également bénificié de formations pour monter en puissance.
Les 3 fondements de la SCOP sont :
- un homme, une voix ;
- le partage des résultats de façon proportionnelle entre les réserves, la participation et les dividendes ;
- les salariés sont majoritaires au capital.
De notre côté, 95% des salariés sont sociétaires, cela représente entre 30 et 35 personnes. Nous ne sommes pas à 100% car les apprentis en CDD ne peuvent pas être sociétaires, et nous avons décidé dans nos statuts qu’il fallait à minima un an d’ancienneté.
Nous avons fixé un montant de l’actionnariat confortable pour les salariés : 80% de la prime de participation permet de financer leur sociétariat. Nous sommes dans le milieu ouvrier, il fallait donc des arguments pour ne pas faire peur et aider les salariés dans cette démarche.
Cette volonté a débuté dès la création de l’entreprise. Nous avons progressivement mis en place l’intéressement, le plan d’épargne, l’abondement de l’entreprise,… de manière à les aider financièrement à adhérer au sociétariat.
Est-ce que cette transformation en SCOP a suscité davantage d’engagement chez vos collaborateurs ? Qu’est-ce que cette situation a changé pour eux ?
Il y a ceux qui ne croient pas au modèle et qui partent. Certaines personnes du fait de leur milieu social ne se voyaient pas dans cette posture. Devenir patron dans certains milieux est un gros mot. Ils ont donc préféré partir.
D’autres sont complètement intégrés et investis.
Pour que les salariés soient à l’initiative d’idées ou d’actions, nous avons créé une multitude de commissions dans différents domaines : le tri des déchets, la vie communautaire de la SCOP, la transmission, … Chacun y trouve son compte. Le Conseil d’Administration se réunit et vote pour retenir ou pas les idées proposées. Financièrement les actionnaires ont du dividende et de la participation à part équitable. A peu près 2/3 des résultats de l’entreprise sont redistribués. La moitié sous forme de participation, l’autre moitié sous forme de dividende. Les salariés s’y retrouvent forcément. Il n’y a pas de spéculation chez nous, car les réserves qui sont gardées en entreprise permettent l’amélioration d’outils, le réinvestissement, …
On met les salariés face à leurs devoirs, on les responsabilise. Le principe d’égalité est respecté : entre la personne qui fait du nettoyage et celle qui est sur des fonctions les plus exigeantes, il y a un partage de résultat assez équitable.
Etant donné que l’argent ne va plus dans une seule poche, l’entreprise a beaucoup plus de moyens pour les formations, pour devenir plus éthique également. Pendant les Assemblées Générales, on organise des animations sur le bien-être au travail, l’ergonomie, le rire, … Et ces idées émanent d’une commission et non pas d’une direction. En ce sens, c’est plus facile d’emmener les équipes. L’entreprise est véritablement considérée comme un bien commun partagé.
Aujourd’hui comment voyez-vous la suite de cette transmission ?
De par mon expérience dans l’industrie, je me suis rendu compte que les successions étaient très mal organisées. C‘est souvent des transmissions de sang et cela tourne mal en général. Rare sont les entreprises qui ont réussi à passer la 3e génération.
Fort de ce constat et étant aussi pour une hiérarchie de compétences, on a cherché dans notre collectif les personnes possédant un certain leadership pour diriger l’entreprise. Car une SCOP est une entreprise comme une autre qui a besoin d’être dirigée par des personnes charismatiques. En 2015, nous avions déjà repéré deux personnes de 29 et 34 ans, mais n’en parlions pas encore. Nous avons voté lors d’une AG extraordinaire pour les avaliser.
Ces deux salariés ont été formés en gestion, comptabilité, management, etc. dans des Chambres de commerce ou dans des milieux associatifs, pour les préparer à être dirigeants d’entreprise.
Depuis un an, ils gèrent l’ensemble des opérations visant à construire une extension de 1000 m2 de l’entreprise. Ils se sont occupés du plan financier, immobilier, des investissements en machine, … Aujourd’hui ce bâtiment sort de terre. Cela a été une des premières étapes de leur accompagnement. Ils prennent déjà beaucoup de décisions. Et au moment de notre départ en 2020, ils seront 100% autonomes.
Nous sommes donc sereins et savons que l’entreprise sera entre de bonnes mains.