Parler ou non de son handicap psychique au sein de son entreprise est une question complexe pour beaucoup de personnes concernées. Stigmatisation, tabou, peur du jugement freinent souvent ce dévoilement. Alexandre Lababsa, consultant en informatique, a osé parler de sa situation à son manager et à ses RH, ce qui lui a permis d’être mieux accompagné et soutenu dans son travail.
Même si la route est encore longue pour que les représentations évoluent et que des solutions concrètes soient proposées aux collaborateurs, ce témoignage optimiste prouve qu’il est possible d’être écouté et de travailler dans des conditions adéquates lorsqu’on est en situation de handicap psychique.
Dans cette interview, Alexandre nous parle de ce que son entreprise a mis en place et de l’accompagnement dont il a pu bénéficier.
Peux-tu nous raconter brièvement ton parcours professionnel et pour quel type d’entreprise tu travailles aujourd’hui ?
Mon parcours scolaire a été quelque peu chaotique. J’ai fait une dépression à l’âge de 21 ans qui a retardé l’obtention de mon BTS en informatique (j’ai fait 3 promotions différentes). J’ai ensuite enchaîné sur une Licence en développement informatique et j’ai travaillé en tant qu’alternant avant d’obtenir un CDI. Aujourd’hui, je travaille pour une entreprise de services du numérique en tant que consultant et développeur.
Peux-tu nous partager ton expérience personnelle avec le trouble psychique ? Quelles conséquences cela a-t-il eu sur ta carrière et ton travail ?
J’ai été diagnostiqué avec une psychose atypique. Pour résumer, j’ai tendance à me détacher de la réalité. Le diagnostic m’a été posé lors de ma dépression sévère au début de la vingtaine. Dans mon travail, je peux avoir tendance à m’isoler, à être dans ma bulle. Je préfère l’accalmie plutôt que l’agitation.
Peux-tu nous parler de la culture de ton entreprise en ce qui concerne la santé mentale des salariés ?
Une des valeurs de mon entreprise actuelle est la solidarité. J’apprécie mon entreprise pour son aspect humain. J’ai l’impression que nous y sommes considérés comme des personnes entières, c’est-à-dire avec des hauts et des bas. Car après tout, nous sommes humains avant tout !
De façon générale, mon entreprise est à l’écoute de ses collaborateurs. Dans mon cas, j’ai rencontré des soucis de santé et j’ai pu vraiment compter sur mes RH et mon manager pour m’apporter du soutien et me proposer des aménagements. J’ai bénéficié, par exemple, d’un temps partiel thérapeutique.
Mon entreprise a également signé un Accord Handicap pour aider, soutenir et accompagner les personnes en situation de handicap. Me concernant, mon handicap est invisible. Côté RH, nous avons une personne référente handicap à qui je peux également me confier.
Comment as-tu abordé la question de ton trouble de la santé mentale avec tes collègues et ton employeur ? Quelles ont été leurs réactions et comment cela a-t-il influencé ton expérience au travail ?
J’ai d’abord abordé le sujet avec mon premier manager. Nous avions l’habitude de faire nos points hebdomadaires en terrasse car nous habitions le même quartier. Cela était très convivial, l’ambiance était plutôt décontractée. Nous étions davantage dans une relation de « mentoring » plutôt que dans une relation purement hiérarchique, ce qui a facilité l’ouverture de la parole au sujet de mon handicap psychique.
Quelles stratégies ou techniques as-tu développées pour gérer ta santé mentale au travail et maintenir ton bien-être ?
Je joue sur la transparence avec mon manager, mes référents techniques et mes RH. Cette transparence m’a permis de leur parler de ma détresse, plus ou moins accentuée, à certains moments.
Peux-tu nous partager des exemples concrets de soutien que tu as reçus de la part de ton entreprise ou de tes collègues par rapport à ton trouble psychique ?
Rapidement, mon entreprise m’a proposé un temps partiel thérapeutique. Grâce à l’Accord Handicap et étant en ALD (affection longue durée), j’ai pu étendre cette possibilité jusqu’à 3 ans. Dans le cadre de cet accord, je bénéficie aussi de 6 jours de congés supplémentaires pour mes divers rendez-vous médicaux.
Il m’a aussi été récemment proposé une forme de coaching sur un axe particulier.
Quels sont les principaux défis auxquels tu as été confronté en conciliant carrière professionnelle et ton expérience personnelle ? Comment les as-tu surmontés ?
Mon principal défi a été la peur que l’on découvre mon trouble psychique. J’ai été beaucoup stigmatisé par mes proches et j’avais peur que cela m’arrive aussi en entreprise, dans un contexte différent de la sphère amicale.
Après avoir noué une certaine affinité avec mon manager et mes RH, j’ai pu peu à peu en parler à visage découvert. J’ai même pour projet de faire mon « coming-out psy » au sein de mon entreprise afin de sensibiliser mes autres collègues.
De quelle manière penses-tu que les entreprises pourraient améliorer leur soutien à l’égard des collaborateurs souffrant de troubles de santé mentale ?
Déstigmatiser, sensibiliser, soutenir…
Les entreprises peuvent apporter une forme de soutien en proposant un accompagnement via une personne des ressources humaines, par exemple un référent handicap ou une “personne ressource ”. Cela permet au salarié de se confier sur les difficultés qu’il/elle rencontre et souhaite partager.
Les RH peuvent aussi être sensibilisés sur la notion de handicap invisible et sur la façon de l’aborder avec les collaborateurs. Le manager a aussi un rôle à jouer: il peut être une passerelle entre le salarié et les RH.
Personnellement, je vois mon manager comme un “mentor” qui peut m’apporter, lui aussi, une forme de soutien et être un point d’écoute. Ensuite, il fait le relai avec les personnes plus à même de répondre à mes besoins.
Les RH peuvent aussi proposer aux salariés des formations (internes ou externes) pour apprendre à gérer leurs émotions, par exemple, afin d’avoir les bonnes pratiques qu’ils se sentent submergés.
Certaines entreprises proposent des évènements en interne. Il est possible de passer par l’intermédiaire d’associations afin de mieux connaître ce que sont les troubles psychiques et avoir des témoignages de personnes directement concernées.
Quels conseils donnerais-tu à d’autres personnes qui vivent avec un trouble de santé mentale et qui cherchent à évoluer dans le monde du travail tout en préservant leur bien-être ?
Cela dépend de deux choses : du souhait pour le salarié d’aborder ou non le sujet au sein de son entreprise et de l’accessibilité à des personnes ressources en interne pour la mise en place d’un accompagnement plus personnalisé. Cela dépend aussi de la culture d’entreprise. Il existe aussi des solutions via la médecine du travail qui peut proposer un aménagement du temps de travail. Un collaborateur a le droit de contacter la médecine du travail sans passer par les RH.
Quel message souhaiterais-tu transmettre aux employeurs et aux collègues pour les sensibiliser davantage à la santé mentale et pour créer un environnement de travail plus inclusif et compréhensif pour ceux qui vivent avec un trouble psychique ?
Prendre en considération la santé mentale de ses employés est pour moi primordial. C’est grâce aux actions de sensibilisation réalisées en entreprise que des prises de conscience peuvent émerger. Une entreprise qui compte au minimum 250 salariés doit avoir un référent handicap qui peut être un premier point de contact.
Personnellement, je suis reconnaissant envers ce que propose mon entreprise et pour la prise en considération de ma situation vis-à-vis de ma santé mentale. J’ai envie de m’y investir encore plus qu’auparavant. Cela peut être un levier pour fidéliser certains salariés.