Cet article inaugure la nouvelle série “les éditos de la rédac'”. Ce premier article rédigé par Catherine Testa a été largement lu et partagé sur LinkedIn et vise à interroger sur les changements sociétaux.
Une semaine VivaTech
Oh, personne n’a pu y échapper… Posts sponsorisés, invitations des “grands groupes” partenaires, J-2, J-1, c’est l’événement français du genre. Cette année comme l’an passé, ma timeline LinkedIn s’est progressivement transformée en un défilé de « selfies avec robots », de « selfies avec Emmanuel Macron » et de selfies tout court. Vraiment ? C’est ça l’innovation ? Se prendre en photo à un salon ?
Je me rends toujours aux salons lors des premières éditions (Websummit, Vivatech…). Mon passé dans le monde du digital et le besoin d’une vision systémique m’incitent à me tenir informée. A peu de choses près, je rentre toujours tout aussi enthousiaste qu’un brin désabusée. J’admire les idées, l’envie de changer des systèmes, la force visant à créer l’avenir…
Pourtant je m’interroge. On s’enthousiasme de la tech, des levées de fonds, de la scalabilité d’un produit. Mais à plus long terme ? Qui prend du recul et s’interroge sur les conséquences engendrées ? Quels sont les entrepreneurs qui ont le temps de mesurer l’impact de ce qu’ils conçoivent ? Un produit / un service peut entraîner une mutation sociétale (ou du moins une mutation organisationnelle) et ça, j’ai l’impression que trop souvent on l’oublie.
Le changement sociétal
Evidemment, la “tech” fait vendre, elle marque le futur et fait fantasmer. D’ailleurs, on glisse derrière ce mot “tech” un peu tout et n’importe quoi. La semaine passé, un spécialiste innovation d’un “grand groupe” me glissait avoir plusieurs millions “à cramer” (selon ses propres termes) et s’affolait de certains projets dans lesquels le groupe investissait sans trop réfléchir.
Et c’est peut-être là que le bât blesse. Qui réfléchit ? Oh, je ne te parle de faire de la philosophie pour faire de la philosophie mais plutôt pour anticiper le changement sociétal et accompagner le salarié, informer le citoyen, préparer l’écolier ?
Prenons le cas Facebook. J’ai l’impression que le citoyen vient seulement de comprendre que “si c’est gratuit c’est que nous sommes le produit”. Toute personne travaillant dans le digital et dans la data le sait. Facebook (et les entreprises plus généralement) ne sont pas des philanthropes. Visiblement on n’a pas bien informé.
Mais si on t’en avait informé, peut-être te serais-tu posé des questions ? Les cartes de fidélité par exemple. Tu crois vraiment qu’on veut simplement te faire revenir dans le même magasin à l’ère où tout le monde annonce que « demain la Data, c’est la valeur » ? Mais enfin… N’as-tu pas remarqué ? Tu achètes 3 années consécutives des couches bébé et bizarrement une marque de voiture t’envoie son offre de nouvelle berline « familiale ». Ton hypermarché a peut-être « loué » ta donnée au constructeur automobile…
Bien-sûr, je ne remets pas en question le système, il s’agit du sens du monde. Ma carte SNCF, ma carte Air France et toutes ces autres cartes me permettent d’avoir des voyages gratos. Mais j’en suis avertie. Est-ce que tout le monde le sait ?
Je prends aujourd’hui cet exemple très vieillissant pour interroger. Quand la digitalisation du système des cartes de fidélité est apparue, on y a vu une “innovation”, enfin la donnée se précisait ! Avait-on pensé à la suite ? Et si demain ton supermarché informait ta mutuelle de ta santé ? Je ne dis pas que c’est le cas…. mais “et si ?” Quel impact sociétal plus global ?
En allant plus loin : à quel moment la donnée aura-t-elle plus de valeur pour le “retailer” que la mise en rayon des produits ? Qu’est-ce que le retail demain ? Bien sûr, je pousse le raisonnement mais où sont ceux qui questionnent, avertissent et partagent l’information ? Non pas pour entrer dans la confrontation et dire que « non il ne faut pas », mais pour accompagner et expliquer ? Pour informer tout simplement…
Maintenir dans l’ignorance est-il vraiment possible à l’ère du digital ?
Tout et son contraire
Ô, je le sais, tu vas me dire que c’est tout aussi ‘positif’ que ‘négatif’, c’est d’ailleurs pour cette raison que je me pose en simple “regard”.
On peut trouver du pour et du contre pour tout. Google : rendre disponible l’information, dans l’absolu, cela favorise l’accès à la pensée, l’accès à la rencontre de l’autre. Puis la publicité comportementale est arrivée. On a trouvé génial de proposer des pubs bottes à ceux qui cherchaient des bottes. Dans l’absolu, pourquoi pas : autant voir un produit qui nous correspond. Mais cette règle est également devenue valable avec le contenu. Quand on “nous pousse” uniquement ce qu’on a envie de lire, cela nous emprisonne dans un filtre (ce dont je parlais dans cet article : le jour où j’ai compris que je n’avais rien compris). Plus tu votes pour un parti, plus on te confortera dans tes croyances. Qui a réfléchi aux conséquences pour la démocratie ?
Uber, AirBnB avaient-ils réfléchi aux conséquences de leur idée ? Au delà de l’application, qu’est ce que le travail demain ? J’ai l’impression que les Etats mettent bien du temps à réagir et à trouver les réponses. Est-ce parce qu’on n’a pas posé la question socio-philosophique assez tôt au profit de la seule course à l’innovation ?
Et toutes ces start-ups qui “disruptent” les RH. Oui, un chatbot qui répond aux candidats c’est “innovant” mais… Prend-t-on assez en considération les conséquences ?
Comment utiliser la tech au service de l’humain et non au service de quelques humains ?
Car c’est bien de cela dont il s’agit. Innover, aujourd’hui c’est branché et je dois avouer qu’il est très enthousiasmant de voir tout ce qui arrive. Je m’enthousiasme des copains aux idées de folie !
Pourtant je me demande si demain l’innovation ne sera pas plus sociale que tech, et s’il ne faut pas trouver dès aujourd’hui comment corréler ces deux mondes (autrement que par un sommet TechForGood…). D’ailleurs, sur le salon, il y avait les start-ups “positive impact”. Si on réfléchit un instant : toutes les start-ups ne devraient-elles pas avoir un impact positif ? Cela signifie-t-il que des start-ups ont une impact neutre ou négatif ? Si oui, alors à quoi bon… à part à “cramer” des budgets pour reprendre la conversation qui m’a inspiré cet article.
Alors, bien sûr, je m’éloigne encore une fois de mon sujet qu’est le “bonheur sociétal” et l’optimisme dans sa globalité. Mais j’ai envie de te poser la question. Au milieu de tous ces posts LinkedIn vantant telle ou telle avancée, telle ou telle start-up au pitch bien calibré, je me demande qui suivre pour avoir une vision plus systémique de ce que sera la société de demain ?
Pour être très honnête, ma question va encore au delà…. Ceux qui hackent les systèmes et changent réellement les paradigmes sont-ils couvés par nos grandes entreprises du CAC40 comme cela a semblé être le cas à Vivatech ? Ou bien sont-ils ailleurs, silencieux, cassant les codes et travaillant non pas à gagner des financements mais à bâtir une proposition ?
Parce que l’innovation n’est pas l’enjeu. L’enjeu est la société que nous créons.
Voilà en vrac les pensées d’un dimanche soir clôturant une semaine avec un peu trop de “Vivatech-selfiesque”. N’y vois pas de jugement, je comprends le besoin de mettre sur le devant de la scène ceux qui innovent, le besoin de rassemblement, l’envie de partages… Mais je ne peux m’empêcher ce réel questionnement sur le pourquoi. Aurais-tu des personnalités à me conseiller ? En réalité, je suis convaincue que pour insuffler bonheur et optimisme dans la société, il n’est nul autre choix que de comprendre les mutations qui vont l’impacter et tes éclairages me seront précieux.
Pour finir sur une touche un peu plus légère (humour d’openspace…) la chronique de Guillaume Meurice sur VivaTech est assez marrante !
A très bientôt,
Catherine
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