D’abord ingénieur dans le domaine de la production hydroélectrique, puis manager de 40 personnes sur deux sites à Strasbourg, Ludovic Giusti accompagne aujourd’hui le Groupe EDF dans sa transformation managériale.
C’est grâce au film « Le bonheur au travail » qu’il découvre une autre façon de manager. Peu de temps après, une phase d’expérimentation est lancée dans le groupe. Ludovic y prendra part. Cette démarche intitulée OPALE, en référence au livre « Reinventing Organizations » de Frédéric Laloux, a pour volonté de responsabiliser les équipes et dépoussiérer les pratiques pour rendre l’entreprise plus agile et plus innovante.
Ludovic nous délivre ses conseils pour réussir une transformation managériale.
Quelle a été la première étape de la transformation managériale chez EDF ?
Elle a débuté en juin 2017 par une expérimentation. Une équipe a proposé de tester de nouvelles pratiques, dans ce qu’ils ont appelé la démarche OPALE. La Direction a retenu ce projet et a cherché 7 managers d’équipes volontaires au niveau du groupe. Au bout d’un an et fort des premiers succès, EDF SA et Hydro ont élargi cette démarche. EDF Hydro a voulu aller plus loin en lançant sa propre démarche appelée Hydropale.
Aujourd’hui, nous sommes 140 équipes lancées en seulement 2 ans et demi, dont 30 à 40% dans l’hydreaulique.
Avez-vous connu des freins au démarrage ?
Oui, au début et en étant les premiers, il y eu des freins. A Strasbourg, cette démarche a un peu dérangé. Certains managers de proximité s’intéressaient très peu à ce que je faisais, d’autres plus éloignés suivaient de près les évolutions. Cela a créé soit de la jalousie, soit de l’indifférence.
Cette démarche a également suscité des interrogations au niveau des partenaires sociaux et du corps managérial, avec la nécessité de se repositionner dans un nouveau contexte relationnel.
Le temps est un autre frein : comment trouver le temps de réunir le collectif et de construire quelque chose qui nous ressemble ? Prendre du recul et travailler ensemble pour imaginer d’autres façons de faire n’était pas forcément évident en temps réel !
Aujourd’hui les mentalités ont évolué. Il y a des bootcamps et des journées d’inspiration 2 à 3 fois par an pour lancer les nouvelles équipes dans cette démarche.
Quelles actions avez-vous mises en place dans le cadre de la démarche OPALE ? Et qui les a impulsées ?
Il faut trouver le juste équilibre entre son désir d’impulser des actions en tant que manager et son envie de laisser l’équipe proposer de nouvelles choses. Les deux sont possibles. Au début, nous avons débuté par des actions proposées par l’équipe, celles qui avaient un fort impact et étaient vraiment à notre main.
Certains managers considèrent que les choses ne peuvent pas bouger, que ce n’est pas de notre main, mais c’est faux. De nombreuses actions peuvent être réalisées par le manager et avoir une forte résonance sur l’équipe.
La démarche OPALE a été construite autour de 4 grands chantiers :
- l’organisation,
- la gouvernance et la prise de décision,
- l’espace de travail
- les RH (rémunération, recrutement, évaluation, développement du personnel, …).
Notre stratégie était de lancer plusieurs petits chantiers pour avoir des victoires rapides et significatives, pour donner confiance à la fois à la Direction et aux collaborateurs.
Cette étape est fondamentale car au début il faut convaincre. En moyenne, dans ce type de démarche, 1/3 des personnes sont très enthousiastes, 1/3 attendent de voir ce que cela peut donner, et 1/3 sont assez opposées. J’avais de mon côté vraiment envie d’emporter l’adhésion du plus grand nombre et pour cela, il me fallait des victoires rapides.
Par exemple, nous avons ouvert le plan de charge aux équipes. Auparavant, le planning et les tâches étaient définis par un cadre de l’entreprise qui donnait la messe tous les lundis à l’équipe. On a souhaité changer cela : plusieurs volontaires sont venus à tour de rôle pour l’aider à construire et à affecter les tâches. Cela a eu plusieurs vertus : un planning mieux consolidé, plus cohérent qu’avec une personne dont l’expérience terrain est parfois limitée, et une plus grande implication des agents dans la construction de leur activité.
D’autres exemples, les réunions d’encadrement ont été ouvertes à une ou deux personnes du terrain.
On a pratiqué le recrutement partagé, à la fois par le manager et les collaborateurs. Suite à une candidature, la personne passait trois jours d’immersion sur le terrain, elle avait ensuite un entretien avec le manager, puis on demandait à l’équipe ce qu’elle en pensait. Celle-ci pouvait refuser un candidat, ce qui a parfois été le cas.
Un catalogue de formations a été créé pour répondre aux besoins spécifiques des équipes. Avec la particularité d’avoir des agents de terrain qui forment eux-même leurs collègues.
Au niveau du CODIR, on l’a ouvert en instaurant le principe de la chaise libre, c’est-à-dire en invitant un non manager à participer à cette réunion. Pour plus de transparence, à l’issu de chaque CODIR ou réunion importante, le manager faisait une petite vidéo de compte-rendu avec son téléphone, puis il l’envoyait à son équipe.
Quels ont été les résultats ?
Dans ces 7 équipes pilotes, les taux d’engagement étaient excellents. Il y avait une forte adhésion du terrain, une confiance dans le management, une maturité différente et une envie de continuer.
Pourtant on ressentait une certaine réticence de la part de la Direction, notamment au niveau des indicateurs de performance. Il est très difficile de trouver des indicateurs financiers dans ce type de démarche. Nous cherchons encore lesquels faire émerger pour justifier la performance industrielle, au delà de l’indicateur d’engagement, de bien-être, de confiance dans l’avenir, etc.
Quels sont vos conseils et vos points de vigilance pour les organisations qui aimeraient se lancer ?
On parle souvent des 3 niveaux de confiance avant de se lancer :
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Avoir suffisamment confiance en soi : la démarche expose le manager et vient chambouler son cadre.
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Avoir confiance en son équipe : si l’on va dans cette direction, c’est qu’on a confiance en l’Homme et en sa capacité de s’engager.
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Avoir la confiance de sa Direction : sans la bénédiction de la Direction, cela peut être compliqué pour le manager. Il faut à minima dans ce cas, qu’elle laisse faire et protège.
Premier conseil : il faut y aller pas à pas et s’adapter à son équipe. En ce sens, un point de vigilance est de ne pas vouloir pour l’autre, ni vouloir aller trop vite. Les collaborateurs ont besoin de temps pour digérer chaque action.
Ensuite, savoir que c’est un marathon et non un sprint. Il faut réussir à garder un rythme régulier. Ne pas vouloir trop en faire dès le début. Célébrer les victoires et faire que ces actions s’inscrivent dans la durée.
Il faut faire les choses naturellement et changer les pratiques en douceur. Au bout d’un certain temps, il est possible de montrer tout ce qui a été accompli et aller encore plus loin, en s’inscrivant dans une démarche globale. Les managers qui se lancent doivent agir de manière naturelle, sans mentionner que la démarche vient du groupe. Cela facilite l’acceptation et le portage.
Pour amorcer la transformation, il est possible de lancer les équipes avec un Bootcamp d’inspiration par exemple. Chez EDF, des coachs internes ont été spécifiquement formés et encadrent les équipes. Une communauté a également été créée pour entretenir le réseau et apporter du soutien. Avec une obsession : que ces actions s’inscrivent bel et bien dans la durée.