Il a plusieurs mois, nous avons eu la joie d’accueillir Elodie Crépel, autrice, conférencière et coach spécialisée sur la douance et l’hypersensibilité dans le cadre d’une pause-café. Une rencontre d’une heure pour aborder un sujet plébiscité par nos adhérents : l’hypersensibilité dans le monde de l’entreprise. Voici quelques points clés de cette conférence et les réponses aux questions qui ont été posées.
Hypersensibilité : quelques éléments de définition
Les mots que l’on emploie sont importants. L’hypersensibilité suscite de l’intérêt depuis les années 90. « Hypersensibilité » est un terme traduit de l’anglais « high sensitive person » que l’on trouve dans les travaux d’Elain Aron, psychologue et chercheuse en psychologie américaine, reconnue comme l’une des spécialistes de l’hypersensibilité. Pour Elaine Aron, 20 à 30% des personnes seraient hypersensibles.
Ni une maladie ni un handicap
Le mot « hyper » est connecté négativement dans nos sociétés car il renvoie à l’idée du « trop ». Souvent, il y a une confusion entre l’hypersensibilité et l’immaturité émotionnelle.
Elodie rappelle que l’hypersensibilité n’est considérée ni comme une maladie ni comme un handicap bien que certaines personnes puissent en souffrir ou la vivre difficilement. Un nouveau terme a émergé pour pallier cette vision négative, celui d’ « ultra-sensible ». Une question reste ouverte : ce terme ne sera-t-il pas lui aussi vu comme péjoratif à un moment ou à un autre ?
Aucune étude n’a démontré à ce jour un lien entre hypersensibilité et hérédité même si dans la pratique, certains thérapeutes le constatent.
Qu’est-ce qu’être hypersensible ? Par rapport à quelle norme ?
Le concept de norme est difficile à définir car on ne sait pas très bien à quoi elle correspond. A ce sujet, le livre de Todd Rose « La tyrannie de la norme » est éclairant et permet d’initier une réflexion sur ce qu’est la « norme » et les conséquences néfastes d’une vision standardisée.
Nous possédons toutes et tous une sensibilité qui nous est propre. Il est erroné de croire qu’il y aurait des individus sensibles et d’autres qui ne le seraient pas du tout. De plus, notre sensibilité évolue au cours de notre vie et selon les circonstances. Par exemple, une personne qui vit un deuil peut avoir un niveau d’émotivité exacerbé ce qui ne fera pas d’elle une hypersensible pour autant.
On peut distinguer deux grandes caractéristiques chez les personnes identifiées comme « hypersensibles » :
- Une hyperémotivité : une intensité et une fréquence émotionnelle supérieures à la moyenne. De manière caricaturée, les hypersensibles disent souvent qu’elles passent du rire aux larmes en une minute. A ce sujet, il est aussi erroné de croire que les hypersensibles pleurent tout le temps. La tristesse peut se vivre de manière très variée. L’hyperémotivité ne concerne pas seulement la tristesse mais toutes les émotions : la joie, l’enthousiasme, l’excitation…
- Une hyperesthésie : les sens sont plus développés, que ce soit l’odorat, la vue, le toucher, l’ouïe ou le goût. Il est important de connaitre et de comprendre le fonctionnement de nos sens pour saisir l’impact qu’ils ont sur nous. Être sollicité visuellement par trop d’éléments peut être écrasant pour certaines personnes.
Douance, zèbre, HPE : quelles nuances ?
La douance renvoie à l’idée d’un quotient intellectuel élevé, c’est-à-dire allant au-delà de 130. Mais les chiffres ne sont pas tellement intéressants, l’analyse du test l’est davantage. La WAIS est le test officiel français pour tester le QI. Être surdoué.e ce n’est pas seulement avoir un QI élevé mais c’est également ressentir le monde différemment, ce qui crée une sensation de décalage. Le mot « zèbre » est un synonyme de « surdoué ». Il existe beaucoup de synonymes qui ont été déclinés à partir d’un terme que l’on retrouve dans la littérature anglo-saxonne : « gift person » (littéralement : « une personne-cadeau »). Les personnes surdouées ont une grande connaissance de leurs limites et de leurs failles et ne se reconnaissent pas nécessairement dans ce terme de « surdoué ».
Notre tendance élitiste, en France, a voulu faire en sorte que l’intelligence soit perçue d’un côté pratico-pratique. Seulement il existe d’autres formes d’intelligences. Les hauts potentiels émotionnels (HPE) ont une connaissance des émotions, savent les accueillir et les vivre avec les autres.
L’hypersensibilité : une compétence pour l’entreprise ?
Les hypersensibles qui ont une bonne connaissance d’eux-mêmes sont un atout pour le milieu de l’entreprise. Ces personnes sont le baromètre d’une entreprise. Lorsqu’il y a des dysfonctionnements au sein de l’entreprise, la personne hypersensible le « ressent » souvent très rapidement. Lorsqu’une entreprise favorise un climat sain, les hypersensibles peuvent y déployer toute leur empathie, leur créativité, leur intuition. Ce sont des locomotrices pour les entreprises.
Hypersensibilité : un fonctionnement neuronal différent ?
Ceux qu’on appelle aujourd’hui les « neuro-atypiques » ont un fonctionnement neuronal différent. Il a été prouvé que les hauts potentiels intellectuels ont un taux de myéline plus dense et plus épais. Les tests d’imageries cérébrales montrent que l’information circule beaucoup plus rapidement dans le cerveau.
En ce qui concerne les personnes hypersensibles, aucune étude n’a établi le lien entre cette composante de l’individu et un fonctionnement neuronal différent. Il a cependant été démontré que les zones des émotions s’allument de façon plus intense et plus longtemps. Mais structurellement, le cerveau d’une personne hypersensible ne comporte pas de différence.
L’hypersensibilité : un effet de mode ?
L’hypersensibilité semble concerner tellement de personnes aujourd’hui que certains se demandent s’il ne s’agit pas là d’un effet de mode. Pour répondre à cette question, Elodie nous invite à réfléchir à deux mécanismes psychologiques :
- Effet band wagon: désigne l’effet d’un comportement grégaire où les individus se conduisent comme des moutons de Panurge.
- Effet barnum ou « effet de validation personnelle »: un biais cognitif induisant toute personne à accepter une vague description de la personnalité comme s’appliquant spécifiquement à elle-même. L’étude de base a été réalisée en prenant pour exemple l’astrologie : tous les signes étaient abordés avec la même description et tout le monde pouvait se reconnaître dans les caractéristiques.
Pour savoir si on est HPE, Elodie recommande de voir un spécialiste de la question.
Comment gérer son hypersensibilité dans le cadre du travail ?
Les conseils d’Elodie :
- Avoir une bonne connaissance de son fonctionnement
- Ne pas avoir peur d’en parler pour donner son « mode d’emploi » à l’entreprise
- Faire le point sur son poste : voir s’il est en accord avec nos valeurs
- Utiliser « haute sensibilité » si « hypersensible » vous semble gênant
- Se rappeler que les personnes « hypersensibles » ont un grand sens de l’analyse
- Si un autre trouble est associé à l’hypersensibilité (exemple : TDAH), il est possible de demander un RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé)
Comment agir face à ceux qui briment les personnes hypersensibles ?
Les personnes hypersensibles sont souvent victimes de pervers narcissiques. Un pervers narcissique ne se remet pas en question. Leur narcissisme est trop fragile pour qu’ils aillent consulter un thérapeute.
La meilleure façon est de faire confiance à son instinct et se souvenir qu’il n’y a pas d’obligation d’aimer tout le monde. Une personne hypersensible craint parfois de « rejeter » l’autre ou s’attache très rapidement. Mais il n’y a aucune obligation d’entretenir des relations toxiques avec qui que ce soit.
Si l’hypersensibilité est aujourd’hui ridiculisée, rappelons-nous de cette phrase de Schopenhauer : « Toute vérité franchit trois étapes. D’abord, elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence. »
Corrélation entre zèbre et burn-out ?
Pour Elodie, cette corrélation vient du perfectionnisme, un trait souvent observé chez les zèbres. On ne peut pas faire un burn-out si on ne se donne pas à fond. Dans le burn-out parental, on remarque que ce sont les parents très investis qui y sont sujet. Les zèbres sont des personnalités idéalistes qui croient en leurs valeurs. Cela peut les pousser à faire toujours mieux et toujours plus. Ceci dit, tous les zèbres ne sont pas perfectionnistes.
Quand on est hypersensible, on peut être accusé par ses managers d’être « trop gentil ». Qu’en pensez-vous ?
Peut-on vraiment être « trop gentil » ? En France – et c’est culturel – si on sourit trop, si on est trop enjoué, on passe pour immature. Il faut expliquer à son manager : n’est-il pas plus agréable d’avoir une bonne cohésion d’équipe et d’être dans la joie ? Être gentil ou joyeux ne signifie pas être moins intelligent.
Quels spécialistes consulter pour l’hypersensibilité ?
Tous les thérapeutes ne sont pas sensibilisés au sujet. Les psychiatres font parfois le même travail psychologique que les psychologues. Si le feeling passe avec le professionnel, c’est le plus important même s’il s’agit d’un coach. Un bon professionnel se remettra toujours en question et donne son CV, explique son parcours professionnel et son orientation thérapeutique.
Des autotests sont disponibles en livre service. Certaines personnes auront besoin de discuter avec un expert.
Conseils d’ouvrages sur le sujet
- « Ycare un enfant sensible » – Elodie Crépel et Fanny Vella
- « Ces gens qui ont peur d’avoir peur » – Elain Aron
- « Ultrasensibles au travail: Le guide de survie pour affirmer sa sensibilité au bureau, avec son chef, ses collègues » – Saverio Tomasella