L’être humain est un grand joueur ! Nous adorons jouer. Et chose assez extraordinaire, il y a un jeu auquel nous jouons tous universellement, même si personne ne nous a appris les règles, et même si, à la fin il n’y a jamais vraiment de gagnant ! Ce jeu (ou plutôt ces jeux car les scénarios peuvent être variés) ce sont les jeux psychologiques.
On y joue beaucoup. Dans nos vies personnelles, mais aussi au travail.
Peux tu nous expliquer en quoi consiste ces jeux ?
Ce sont des suites de transactions où les protagonistes alternent entre 3 rôles : victime – persécuteur – sauveur. Ils ont été schématisé et vulgarisé à travers le triangle de Karpman, appelé aussi triangle dramatique.
Le rôle de la victime est de se plaindre et de subir. Le rôle du persécuteur est de critiquer et dévaloriser. Le rôle du sauveur est d’aider, de solutionner le problème à la place des autres.
Si nous sommes toujours perdants, pourquoi jouons-nous encore et toujours ?
D’après l’analyse transactionnelle, le besoin de strokes, c’est-à-dire d’interactions avec les autres, est un besoin fondamental. Ce besoin est tellement important que nous préférons obtenir des strokes négatifs (réprimande, moquerie) que pas de strokes du tout. C’est pour ça par exemple qu’un enfant qui se sent délaissé, préfèrera faire une bêtise pour qu’on le remarque, plutôt que de rester sage dans son coin.
Et finalement, on continue à d’agir comme ça à l’âge adulte.
Je suis en entreprise et je manque de reconnaissance. J’intègre quelque part qu’il vaut mieux se plaindre, embêter mon patron, revendiquer des choses plutôt que de jouer le bon petit soldat qui ne sort pas du rang et qui reste un numéro parmi les autres auquel on apporte peu d’attention…
C’est la même chose quand je joue le rôle de persécuteur. C’est une façon pour moi de montrer que je suis légitime, que je sais et que sans moi, ça ne pourra pas fonctionner. Idem pour le rôle du sauveur. Ce sont des façons fortes d’exister aux yeux des autres.
Il y a d’autres façons de satisfaire notre besoin de strokes, mais les jeux psychologiques sont un moyen particulièrement efficace. L’autre façon d’obtenir autant voire plus de strokes, ce sont les relations d’intimité, c’est-à-dire des relations dans lesquelles on tombe les masques, on se parle honnêtement et on écoute aussi l’autre avec attention. Autant dire finalement des interactions qui peuvent être assez rares au travail.
Comment rentre-t-on dans le triangle ?
Deux façons : soit c’est nous qui en sommes à l’initiative et nous invitons les autres à jouer avec nous. Soit nous sommes invités par quelqu’un.
Par exemple, je croise un collègue qui n’a pas l’air d’aller bien. Il se positionne en victime par des discours du type « pauvre de moi », « c’est trop injuste »… Face à cette situation, j’ai plusieurs options :
- le consoler, compatir et même le sauver de cette situation en lui proposant des solutions. Et voilà, j’ai saisi son invitation à entrer dans le triangle via le rôle du sauveur
- le secouer pour qu’il arrête de se plaindre. Encore une fois, je saisis son invitation à jouer et me voilà dans le rôle du persécuteur
- lui prêter une oreille attentive, le questionner et le responsabiliser sur la suite. Et là, je ne saisis pas son invitation. Je l’invite à sortir du rôle de victime pour redevenir acteur de la situation
Mais imaginons que je suis sauveuse que cette personne ne se plaint pas. Je peux, moi, l’inviter à jouer, parce que je vais lourdement insister pour qu’il me raconte ses misères, parce que je vois bien que ça ne va pas… Lui pourra donc saisir cette invitation et effectivement se mettre en victime. Il pourra m’envoyer balader et me dire de m’occuper de mes affaires en se mettant en persécuteur. Ou bien il pourra me remercier de mon intention mais me dire qu’il a besoin de prendre du recul et qu’il va trouver des solutions. Et là, il ne saisit pas mon invitation.
Quand on commence à entrer dans ce triangle et à jouer, qu’est-ce qui se passe ensuite ?
A plus ou moins court terme, les rôles vont finir par s’inverser. Par exemple, je vais passer beaucoup de temps avec ce collègue à l’écouter se plaindre, à lui proposer des solutions qu’il ne saisira pas et donc à un moment, il est possible que je passe du sauveur au persécuteur. Ou alors, c’est lui qui va se lasser en premier en me disant que je ne comprends rien, que mes conseils sont nuls, que de toutes façons, il ne m’avait rien demandé. Et le voilà qui passe en persécuteur et moi en victime.
Comment fait-on pour s’en sortir ?
Il est nécessaire de se repositionner et repositionner l’autre en adulte, c’est-à-dire en personne responsable, capable de réfléchir, prendre des décisions et agir. Ça, c’est pour l’état d’esprit. Ensuite, dans la communication, c’est très utile de pratiquer la CNV. L’écoute et le questionnement sont aussi très efficaces. La question « qu’attends tu de moi ? » est celle que j’utilise le plus pour amener l’autre à verbaliser ses attentes, à clarifier le rôle de chacun et ainsi responsabiliser les deux parties.
Est-ce qu’on a tendance à jouer plus un rôle qu’un autre ?
Oui, en fonction de notre personnalité et de notre histoire, nous avons davantage une sensibilité à jouer le sauveur, la victime ou le persécuteur. Mais ensuite, on est amené à jouer tous les rôles.
Ça dépend finalement de l’histoire qu’on se raconte. Il y a ainsi 4 grands mythes universellement partagés
– « j’ai le pouvoir de rendre les autres heureux » C’est comme ça qu’on entre facilement dans le rôle du sauveur. Mais pour pouvoir jouer ce rôle, on a besoin d’une victime. La plupart des personnes qui font des métiers d’aide et de relations sont souvent dans ce mythe. En entreprise, je vois beaucoup de RH et de managers dans ce type de profil. Ils portent alors sur eux un sacré poids, ils se fatiguent à vouloir aider à tout prix tout le monde, même ceux qui ne veulent pas être aidés…
– « les autres ont le pouvoir de me rendre heureux ». C’est comme ça qu’on entre facilement dans le rôle de la victime. Et pour que ce mythe existe, on a besoin d’un sauveur. On voit tout de suite que si un manager partage le premier mythe et que l’un de ses collaborateurs partage le second, au démarrage ils vont très bien s’entendre. Ils se complètent et se nourrissent tous les deux dans leurs mythes respectifs. Jusqu’à ce que l’un commence à en avoir marre et les rôles changent.
– « j’ai le pouvoir de rendre les autres malheureux ». C’est comme ça qu’on entre facilement dans le rôle du persécuteur. Et pour que ce mythe existe, il faut une victime. Les persécuteurs ont souvent été eux-mêmes des victimes. Dans leurs schémas, c’est soit je domine, soit je suis dominé. En management, ça donne des managers avec une position haute forte. Ils ont besoin de montrer qu’ils sont en capacité de faire la pluie et le beau temps.
– « les autres ont le pouvoir de me rendre malheureux ». A nouveau une façon de rentrer par le rôle de la victime. Sauf qu’ici, pour que le mythe prenne vie, il faut un persécuteur. Encore une fois, si je suis un manager avec le mythe précédent et que j’ai un collaborateur avec le mythe là, on va se complaire dans nos rôles, sauf qu’en général, ça va faire plus de vagues dès le démarrage. Mais même si le premier duo est en apparence moins dangereux, il fait vraiment beaucoup de perdants en entreprise…
Quelles sont les solutions pour éviter tout ça ?
Le mieux est de travailler sur soi, comprendre dans quel mythe on peut s’inscrire facilement et apprendre à y être vigilant. Ensuite on apprend aussi plus vite à repérer quand on entre dans un jeu et on sait davantage comment en sortir.
La notion de responsabilité est essentielle. Quand on est dans ces jeux psychologiques, on estime toujours que c’est de la faute de l’autre. Et c’est sans doute vrai en partie. Mais on ne peut pas changer l’autre. La seule personne sur laquelle on a du pouvoir, c’est nous-même. Donc à nous d’adopter d’autres comportements. Et comme par magie, ça fera forcément évoluer l’autre