Sarah, tu es experte en psychologie positive et accompagnes de nombreuses entreprises en matière de bien-être au travail. Comment passe-t-on d’un cabinet de conseil comme McKinsey à un tel sujet ? Et surtout pourquoi ce sujet ?
Ce fut un long cheminement personnel ! Commencer ma carrière dans le conseil en management fut extrêmement enrichissant. J’ai découvert de nombreux univers, travaillé sur des problématiques diverses et acquis des méthodologies puissantes (qui me sont encore utiles aujourd’hui !). C’est aussi à cette période que j’ai pris conscience de l’importance du bien-être au travail (et de mon fort intérêt pour le sujet !). Quelques années plus tard, j’ai décidé de reprendre des études en psychologie et de me former à la psychologie positive (la « science du bonheur »). Et j’en ai fait mon métier !
Depuis 7 ans, j’accompagne les équipes et les organisations qui souhaitent développer le bien-être au travail, à travers du conseil, des séminaires, des conférences, des programmes sur-mesure… Et j’écris des livres pour partager avec le plus grand nombre les dernières découvertes scientifiques, des exemples inspirants et de précieux rituels feel good (Sunday, Monday, Happy Days et I FEEL GOOD, aux éditions LAROUSSE).
Je suis convaincue que le bien-être au travail est un sujet essentiel qui mérite d’être traité sérieusement (sans se prendre au sérieux !). Il ne s’agit pas simplement d’installer un baby-foot, des corbeilles de fruits ou une salle de gym. Il s’agit de travailler en profondeur sur toutes les dimensions du bien-être (physique, émotionnel, cognitif et aspirationnel). C’est passionnant et très varié, car il n’y a pas de recette miracle qui fonctionnerait pour toutes les organisations !
Tu évoques souvent les émotions (positives ou négatives) , est-ce un sujet qu’on prend au sérieux dans le monde de l’entreprise ? Vois-tu des freins quand tu commences à en parler ? Qui fait appel à toi dans le monde pro ?
Je crois que le sujet est de plus en plus pris au sérieux. Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à comprendre les bienfaits de la joie, de la sérénité, de l’optimisme, de la confiance, de la bienveillance (bref, des émotions positives au travail !). Les études scientifiques montrent bien les incroyables pouvoirs de ces émotions, et nous en avons tous fait l’expérience : quand on se sent bien au travail, on est plus productif, plus créatif, plus énergique, plus motivé, plus coopératif… Tout le monde y gagne !
Les freins sont donc de moins en moins nombreux, mais ils existent toujours. Certains ne croient pas que l’on puisse combiner bien-être et performance, d’autres pensent que ce n’est pas la priorité, ou que c’est trop compliqué, trop coûteux de travailler là-dessus… Mon travail consiste notamment à convaincre que c’est un sujet crucial et à montrer que ce n’est pas si compliqué : il suffit parfois de petites actions pour obtenir de grandes transformations !
Les personnes qui font appel à moi ont des profils variés : DG, RH, responsables Prévention ou QVT, managers… Ce sont souvent des personnes qui ont pris conscience de l’importance de ces sujets et qui veulent sincèrement faire bouger les choses.
Qu’est ce que la contagion émotionnelle ? Comment se matérialise-t-elle au quotidien au travail ? Quelles conséquences sur le travail ?
La contagion émotionnelle agit selon des schémas de transmission bien définis, de façon très rapide et inconsciente. En fait, il suffit d’être sensoriellement au contact de l’émotion de quelqu’un d’autre pour être contaminé (par exemple, il suffit de voir quelqu’un, d’entendre sa voix ou de lire un message…).
Au travail, nous le vivons tous régulièrement : quand une personne stressée ou de mauvaise humeur entre dans une pièce ou en réunion, elle « diffuse » ses émotions négatives et contamine les autres (même si elle ne dit rien de particulier). A l’inverse si une personne entre dans une pièce avec un grand sourire, un bonjour jovial ou en partageant une bonne nouvelle, elle diffuse une ambiance positive qui impacte fortement l’humeur, la créativité et la performance des autres personnes présentes. Nous n’en avons pas forcément conscience, mais nous avons chaque jour de nombreuses occasions de contaminer ou d’être contaminés, positivement ou négativement. C’est un sujet très important, car si l’on est trop fréquemment contaminé par les émotions négatives des autres, notre énergie diminue et on risque d’être en déséquilibre émotionnel permanent (avec un impact sur notre santé, notre travail, nos relations…).
Que faire quand son collègue passe ses journées à se plaindre et que cela impacte notre moral ?
On peut commencer par engager une discussion sur le sujet pour essayer de changer la situation. Il est important que cette personne prenne conscience de cette contagion émotionnelle et des répercussions de ses râleries permanentes sur votre moral et votre bien-être. Il peut être intéressant d’utiliser la communication non violente pour expliquer la situation, exprimer son ressenti et ses besoins, puis réfléchir ensemble à des solutions.
Un exemple concret : dans le cadre d’une de mes missions en entreprise, j’ai travaillé avec une équipe d’opérateurs téléphoniques soumis à une grande pression (imaginez ce que cela fait d’avoir des clients mécontents au téléphone toute la journée !). Certains passaient leur temps à se plaindre des clients, créant une ambiance très toxique dans l’open space. Après réflexion, l’équipe a décidé de mettre en place un « sas de craquage » : un moment dédié chaque jour durant lequel chacun peut se plaindre, râler, pester et rouspéter à sa guise… L’idée étant de ne pas râler le reste du temps bien-sûr. Cela a très bien fonctionné ! Il est vrai que nous avons besoin d’exprimer nos émotions, mais nul besoin de râler à longueur de journée pour cela.
Autre idée : se changer soi-même pour inciter les autres à changer. On peut par exemple annoncer que l’on se lance un défi « j’arrête de râler », en impliquant son collègue râleur (« dis moi dès que tu me surprends à râler !»). Faites l’expérience ! Il est probable que cela l’incite aussi à modifier son comportement.
Et si l’on arrive pas à faire évoluer la situation, il reste plusieurs possibilités : essayer de réduire son exposition à ce collègue râleur, et se protéger avant de s’exposer, avec des rituels comme celui de la « bulle de protection » (un rituel de sophrologie qui consiste à imaginer que l’on est au cœur d’une grande bulle qui nous protège des émotions et énergies négatives), très efficace je trouve ! Gardons en tête cette phrase de Gandhi « nul ne peut me blesser sans ma permission. »
Comment se sentir mieux au quotidien ? Faut-il générer artificiellement des émotions positives ou être OK avec les émotions négatives ?
L’important est d’avoir un bon ratio entre les émotions positives et les émotions négatives. La science montre que pour être heureux et en bonne santé, nous avons besoin de trois fois plus d’émotions positives que d’émotions négatives. On a donc tout intérêt à agir sur les deux tableaux : réduire nos émotions négatives et augmenter nos émotions positives.
Il est essentiel d’accepter ses émotions négatives, de les comprendre (quel est le message ?), de les exprimer et de les réguler quand elles sont trop fréquentes ou trop intense. C’est tout un apprentissage !
Mais il est aussi très intéressent d’augmenter nos émotions positives, je dirais intentionnellement plus qu’artificiellement. La fréquence est bien plus importante que l’intensité : l’idée n’est pas de rechercher des grands moments d’extase mais de multiplier les petits moments positifs (y compris au travail). Pour cela, on peut s’appuyer sur des rituels bénéfiques comme ceux que je propose dans mon dernier livre I FEEL GOOD – 5 étapes pour activer le pouvoir des émotions positives (Larousse, 2022), par exemple :
- explorer ses sources d’émotions positives (« qu’est-ce qui me met en joie, au travail et ailleurs ?),
- choisir son état d’esprit dès le matin,
- faire des pauses « sérénité » dans la journée (avec de la cohérence cardiaque par exemple),
- commencer les réunions par des bonnes nouvelles ou un ice-breaker sympathique,
- organiser des bains de compliments…
Risque-t-on de tomber dans l’injonction au bonheur ?
C’est toujours un risque auquel il faut être vigilant. On a le droit d’être fatigué, triste, stressé, déprimé…et de le dire ! Ne culpabilisons pas quand cela nous arrive. Soyons simplement conscient que cela peut impacter les autres, et que si l’on met en place des actions pour aller mieux, cela bénéficiera autant aux autres qu’à nous-mêmes !
À propos de Sarah
Diplômée de l’ESCP Europe et en psychologie (Université Paris VIII), ancienne consultante en management au sein de McKinsey Company, Sarah Allart est experte en bonheur au travail et psychologie positive appliquée.
Fondatrice de Happiness Booster, elle accompagne avec passion et bienveillance les organisations qui souhaitent développer le bien-vivre et le bien-être au travail (à travers des conférences, séminaires ou programmes sur-mesure).