Après des débuts en politique et dans l’associatif, Charlotte lance sa première entreprise, qu’elle coulera 4 ans plus tard. Son parcours est ponctué de challenges et de belles réussites mais aussi d’erreurs et de rebondissements. Aujourd’hui, elle a appris à se reconstruire, elle a même développé sa propre méthode et l’a couchée sur papier dans un livre co-écrit avec Mélanie Déjardin. « Comment réussir son projet collaboratif » parle sans tabou des échecs et des malaises que l’on peut vivre en lançant un projet.
Peux-tu nous en dire un peu plus sur ton parcours ?
J’ai une formation de travailleur social. Ce qui m’a toujours animé c’est de comprendre l’interaction entre les humains, particulièrement dans des contextes tendus, de violences sociales. J’aime étudier comment dans ces situations les personnes créent des solutions, des pensées, un projet. C’est ce qui a inspiré tous mes choix de vie.
J’ai débuté ma carrière par le militantisme au niveau national, dans un syndicat étudiant. Puis j’ai été directrice politique de SOS Racisme sur la question de l’éducation et de la politique de la ville jusqu’à mes 22 ans. Cette expérience a été assez traumatisante car j’ai eu pas mal de déboires et je me suis retrouvée du jour au lendemain sans boulot, sans ami, sans avenir. J’ai dû me reconstruire et ce moment a été extrêmement fondateur pour moi.
J’ai pu rebondir grâce à un appel à projet de la ville de Paris que j’ai remporté, pour piloter un café associatif, un des premiers tiers-lieux de France. Pendant 4 ans, j’ai pu expérimenter des tas d’actions pour faire vivre les gens ensemble et créer de la mixité sociale. J’ai approfondi ma compréhension de l’humain dans ce qu’il est, et non dans la projection de ce que l’on veut qu’il soit.
De retour sur Lyon, et comme j’avais démissionné, je n’avais pas le droit au chômage et je me suis une nouvelle fois mise en danger. A 25 ans dans une ville où on ne me connaissait pas, personne ne m’a offert de poste de direction. J’avais toujours ce besoin d’expérimenter et possiblement d’échouer. Cela fait partie de mon mode de fonctionnement. Je me dis toujours : au pire ça marche !
Devant le manque d’opportunité, j’ai décidé de créer ma boite, la Vie est Bulles. On a été jusqu’à 8 salariés. Nous organisions des événements pour interroger les rapports humains, des concerts de jazz dans des kebabs, des défilés de mode dans des PMU, nous avons transformé les locaux d’une entreprise en terrain de golf, …
Au bout de 4 ans d’intervention dans des gros groupes, l’entreprise a été mise en liquidation judiciaire avec 200 000€ de dettes.
Que s’est-il passé lors de cet échec ? Et comment as-tu rebondi ?
Il y avait un choc des mondes. Mon vocable n’était pas le leur. Mes clients demandaient du loisir moi je voulais provoquer des transformations sociales. Ce qui m’intéressait c’était qu’il se passe quelque chose car je savais que ça aurait du sens pour leur entreprise. Mais cette volonté était peu lisible.
Par exemple, j’ai travaillé pour un grand groupe d’assurance sur la prise en compte d’une dynamique de quartier pour leurs salariés. Je les ai emmenés pour le déjeuner dans un café associatif sans avoir privatisé le lieu. Pour moi la question ne se posait pas. Cela a été très dur pour eux, manger à côté de sans abri, boire dans des verres en plastique, … Ils n’étaient pas préparés et on me l’a reproché.
Aujourd’hui je continue à créer ces situations pour permettre aux personnes de sortir de leur zone de confort, mais j’ai développé tout un accompagnement pour les aider à mieux gérer leurs réactions et à supporter la réalité. Je comprends à présent leur curseur et je suis capable de leur faire supporter le mien. C’est ma force, ce que j’ai appris de cette première boite.
Aujourd’hui les clients font de nouveau appel à moi, c’est ma grande victoire.
Ma deuxième victoire est la parution du livre « Réussir un projet collaboratif ». Si je ne m’étais pas plantée, jamais je n’aurais pu aller aussi loin dans l’écriture de ce projet.
Comment as-tu encaissé ces échecs ? Quel retour d’expérience peux-tu partager ?
Quand on a une boite en liquidation, c’est très difficile. J’ai été au plus mal et j’ai beaucoup travaillé sur moi. Face au vide sidéral, il faut apprendre à se remplir, à ne pas se projeter.
La dernière année a été un combat permanent pour sauver l’entreprise. C’est aussi à ce moment là que j’ai rencontré Mélanie avec qui j’ai co-écrit le livre. C’est donc très fort de se dire que ce moment là a été le terreau fertile de la méthode que nous avons développée.
Après la liquidation, on est obligé de refaire surface. Je n’avais pas le droit au chômage, plus rien de côté, je suis donc retournée chez mes parents. J’ai été ensuite accompagnée par un très bon avocat et je n’ai pas été tenue responsable des dettes. Je n’ai eu « que » 45 000€ de dettes personnelles à payer, somme que je rembourse encore aujourd’hui.
Pour rebondir, j’ai utilisé la base de données de ma Newsletter où j’avais à l’époque plus de 15 000 contacts. Je leur ai envoyé mon CV et j’ai eu plusieurs retours de personnes qui cherchaient des profils en événementiel ou en communication, ce qui n’était pas du tout moi. J’ai passé des entretiens pour des postes qui me convenaient davantage, mais j’ai été confronté au même résultat : mon profil était trop atypique, je ne rentrais pas dans les cases. J’avais ma propre vision qui ne correspondait pas forcément à la leur.
Je pense qu’en me disant cela, ils m’ont fait un énorme cadeau. Je me suis lancé en tant que consultante freelance, première pierre au projet que j’ai aujourd’hui avec C’osons nous.
En parallèle, une école m’a proposé de donner des cours. J’ai pu mettre par écrit tout ce que je faisais de manière très intuitive, à modéliser toutes mes expériences. Cela a été une seconde révélation. Transmettre et découvrir ce que cela provoque chez les étudiants m’a passionné.
Quelle est ta vision du droit à l’erreur ? Et quel conseil pourrais-tu donner ?
Pour moi il est fondamental. Malheureusement aujourd’hui on ne va pas dans le bon sens. Les discours écolo ou autour de la pensée positive renforcent ce non droit à l’erreur. En dessinant un monde idéal avec un homme propre et bien rangé, on donne des billes pour atteindre cette perfection. Or elle ne sera jamais atteinte !
Je pense que le droit à l’erreur est vital pour que les puissances créatives et collaboratives des personnes puissent se mettre en place. Il faut voir l’échec comme un chemin de vie et ne pas le culpabiliser.
J’ai détruit mon entreprise par mes choix, par mes erreurs. Mais tout cela m’a donné une puissance créative folle ! Et l’impact social et environnemental que j’ai aujourd’hui est bien plus fort. Donc si l’on bride les personnes avec la morale, cela ne va pas fonctionner, on sera dans l’éco-anxiété.
Mon discours est dans la vraie imperfection, le droit d’être nul. Qu’est-ce qu’on fait quand le rêve d’un enfant est d’aller au McDonald ? Quand sa famille ne savait pas quoi manger le lendemain et que pour lui aller dans ce fast-food était la chose la plus importante. Alors qu’est-ce qu’on en fait ?! Pour moi c’est ça le droit à l’erreur, à l’imperfection. Quand j’anime un groupe, je l’en autorise à outrance et c’est à ce moment-là que l’on voit tout le potentiel collaboratif et créatif qui se met en place.
Plus les gens vont sublimer leurs rayures et leurs casseroles, plus ça va être fort.
Il faut également accepter de ne pas comprendre l’autre, comprendre qu’il n’a pas les mêmes codes, le même vécu que nous.
Pour moi l’entre soi c’est la fin, et le non droit à l’erreur c’est l’entre soi. Quand on sort de sa bulle de ce qu’est ou non la réussite, on comprend que la vie est erreur. S’il n’y avait ni souffrance, ni conflit, il n’y aurait pas de vie.
Je vais prendre l’exemple du train. Quand on monte dans un train, on espère que personne ne viendra nous parler. Mais quand le train est bloqué, c’est là que tout se crée. Les personnes commencent à échanger, il y a des interactions, on imagine des choses ensemble, on râle ensemble. Il faut donc de l’imperfection pour que le groupe vive ! Quand tout est parfait, personne ne trouve sa place. Contempler et espérer atteindre cette perfection est impossible, car une fois atteinte, il y en a d’autres qui apparaissent.
Charlotte Allegret a créé une Conférence « Titanic Business , comment j’ai coulé ma boite avec un carnet de commandes plein ? ».
Le livre « Réussir un projet collaboratif ».
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