Poser des limites est un exercice difficile pour beaucoup d’entre nous. Nous avons demandé à Sophie Deligiannis, ancienne avocate, médiatrice, intervenante en entreprise et créatrice du podcast « Il y avait une fois » de nous donner ses astuces.
Sophie, tu as été avocate et aujourd’hui, tu es médiatrice, podcasteuse... Mais tu formes également à la résolution des conflits en entreprises. Pourquoi as-tu choisi ce sujet ?
En tant que managers, nous sommes confrontés à une baisse de motivation et d’engagement des collaborateurs, des absences de plus en plus nombreuses et longues, un turn over important, ainsi que des tensions et conflits interpersonnels.
En général, nous consultons un professionnel (avocat, médiateur, coach…), lorsqu’un problème est engagé et insoluble en interne par des mesures « classiques ». Nous attendons de lui qu’il apporte une solution immédiate. Or, si la source du problème n’est pas réglée, il réapparaîtra probablement à l’identique ou sous une autre forme. Il me semble donc nécessaire d’agir le plus en amont possible, dès l’apparition des premiers signes de dysfonctionnement, voire à titre préventif.
C’est pourquoi j’interviens auprès des directions RH et des managers afin de leur transmettre du savoir-faire et des outils pour mieux comprendre la relation, renforcer leur capacité à fédérer leur équipe et ainsi atteindre les objectifs fixés avec plus d’efficacité.
Tu évoques régulièrement le fait de poser ses limites dans tes podcasts, que veut dire "poser ses limites" ?
Nos relations sont fondées sur des attentes mutuelles, qu’elles soient exprimées ou présupposées, tant dans le domaine personnel que professionnel. Or, nous ne pouvons pas répondre à toutes les attentes de l’autre.
« Poser ses limites » signifie que nous exprimons à l’autre les limites au-delà desquelles nous nous refusons d’aller. En quelque sorte, il s’agit d’un cadre dans lequel nous définissons ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Il varie d’une personne à l’autre et peut évoluer avec le temps. Poser ses limites permet de se respecter et ainsi d’être respecté(e) par l’autre.
Comment définir ses limites ?
Pour définir ses limites, il est nécessaire de bien se connaître et plus particulièrement de mieux comprendre quels sont ses besoins. Nos émotions permettent de les identifier. Comme je le dis souvent à travers mes podcasts, cela passe par l’observation de soi et de ses ressentis.
Au cours d’une journée, nous sommes tous traversés par des sensations, agréables ou désagréables, selon les situations qui se présentent à nous. La mauvaise humeur, l’agacement, la lassitude, l’angoisse, le stress ou l’épuisement sont autant de signaux qui nous alertent que nos besoins ne sont pas respectés. C’est donc en portant notre attention sur nos ressentis que nous allons connaître quelles sont nos propres limites.
Comment savoir si on se laisse dépasser et quel est le juste milieu entre mettre trop d'eau dans son vin et pas assez ?
Lorsqu’une situation ou le comportement de notre interlocuteur nous fait réagir fortement, cela signifie que cette situation ou ce comportement est inacceptable pour nous. Par exemple, vous avez rendez-vous avec votre responsable qui a, comme d’habitude, plus d’une heure de retard, sans avoir pris la peine de vous prévenir. Vous aviez prévu, pour une fois, de partir plus tôt pour rejoindre des amis. Vous êtes furieux contre votre responsable que vous trouvez irrespectueux à votre égard. Vous craignez de ne pas terminer votre journée à l’heure prévue, voire de devoir annuler la soirée programmée, alors que vous vous réjouissiez de passer ce moment avec vos amis. De tels ressentis, comme la colère, le stress et la déception, sont de bons indices indiquant que vos limites ont été franchies.
C’est en portant votre attention sur l’intensité de vos réactions que vous pourrez identifier les situations qui ne nous conviennent pas. A partir de là, il s’agira de déterminer celles qui sont tolérables et celles qui ne le sont pas pour trouver un juste équilibre entre mettre trop ou pas assez mettre d’eau dans son vin.
Enfin, nos limites peuvent évoluer, selon les changements dans notre vie. Elles ne sont pas figées. Certaines situations que nous avons acceptées jusque-là, peuvent devenir inacceptables, et inversement. L’écoute de soi est donc la clé pour clarifier ses limites et ainsi les énoncer plus facilement aux autres.
Toi qui es spécialiste de l'art oratoire, comment énoncer ses limites aux autres ? Aurais-tu des astuces ?
« Enoncer ses limites aux autres », nous expose potentiellement à de la confrontation et/ou au rejet. C’est ce qui explique que nous pouvons avoir peur de dire non ou alors être gêné(e) face à une demande de notre interlocuteur, sans savoir comment nous positionner.
Lorsque nous posons nos limites, nous parlons de nous et de la perception que nous avons de la situation ou du comportement qui ne nous convient pas. Il est donc préférable d’utiliser le « je » pour exprimer nos ressentis, comme par exemple, « je n’accepte pas… », « j’ai la sensation que… », « j’ai besoin de… ». Au contraire, l’usage du « tu » peut être entendu comme un reproche ou une accusation, comme par exemple, « tu as fait ceci… » ou « tu n’as pas fait cela… ». Dans ce cas, notre interlocuteur peut être sur la défensive et porter son attention sur la manière dont il peut répliquer. Il n’entendra donc pas notre message. D’où l’intérêt de développer son assertivité qui permet d’exprimer de façon claire et directe ses ressentis et ses besoins aux autres, tout en respectant les ressentis et les besoins des autres.
Face à une sollicitation, quelle qu’elle soit, nous voulons souvent répondre immédiatement à notre interlocuteur. Or, nous avons parfois besoin de temps pour savoir quoi répondre. Cela permet d’éviter de réagir sous le coup d’émotions trop vives et surtout de prendre en compte ses ressentis. Dans ce cas, nous pouvons dire à notre interlocuteur : « je vais y réfléchir ».
Enfin, les phrases doivent être factuelles, courtes et concises. Parfois, nous nous sentons obligés de nous justifier. Nous pouvons alors nous perdre dans des explications, qui peuvent être source de malentendus. L’objectif est que votre message soit clair pour que votre interlocuteur n’ait pas à deviner ce que vous voulez dire. Dans le cas contraire, vos propos peuvent être sujets à interprétation, ce qui est potentiellement source de conflits.
Tu es spécialiste de la résolution des conflits. Existe-t-il une cause principale aux conflits ? Sont-ils nombreux à être dus à un manque de limites posées ?
Les interprétations et les jugements que nous portons sur les situations et les comportements auxquels nous devons faire face, sont l’une des causes principales de conflits. En effet, nous avons tous notre propre perception de la réalité. Par exemple, vous attendez l’appel de quelqu’un. Vous pouvez vous dire qu’il ne tient pas ses engagements et vous mettre en colère, alors qu’une autre personne se demandera s’il ne lui ait pas arrivé quelque chose et pourra ressentir de l’anxiété. Une même situation est donc vécue de manière différente d’une personne à l’autre. C’est d’ailleurs ce qui explique que les limites que nous posons nous sont propres.
Le manque de limites posées peut effectivement être la source de nombreux conflits. En effet, pour être équilibrée et harmonieuse, une relation doit être fondée sur un respect mutuel des besoins de l’un et de l’autre. Or, lorsque nous négligeons nos propres besoins pour répondre aux attentes des autres, nous finissons par ressentir de la frustration. Celle-ci s’exprime notamment par le biais de sous-entendus ou de reproches adressés à l’autre. Avec l’accumulation des griefs l’un envers l’autre, la relation se dégrade peu à peu, jusqu’à atteindre parfois un point de non-retour.
Le fait de poser ses limites ne permet ni plus ni moins de respecter nos propres besoins, que nous sommes les seuls à pouvoir combler. Pour cela, comme nous avons pu le voir, il est nécessaire de développer et cultiver l’écoute de soi. Une fois que nous avons clarifié quelles sont nos limites, il sera d’autant plus facile de l’exprimer à l’autre. De cause à effet, avec une bonne communication, l’autre en fera de même. Nos relations deviennent d’autant plus authentiques.