“Combien y-a-t-il de Chief Happiness Officers en France ?” Je ne compte plus le nombre de personnes qui m’ont posé cette question au cours des derniers mois. Chief Happiness Officer, cette nouvelle fonction fait rêver certains et horripile les autres. Une vaste fumisterie ? Un nouveau coup de com’ ? J’ai fait partie des sceptiques.
L’ex du développement durable que je suis a eu peur de voir naître l’ère de l’« happy-washing » à l’instar de celle du “green-washing”.
Bilan après trois ans à travailler sur ce sujet et après avoir rencontré plusieurs centaines de sociétés.
Celles qui ont un train de retard
Il y a quatre ou cinq ans, quand je commençais à parler avec mes interlocuteurs de bonheur au travail ou d’optimisme, on me regardait avec un sourcil levé et interrogatif. “Non, pas en France. Aux US, peut-être, mais pas en France !”
Aujourd’hui, fort heureusement, parler de bonheur en entreprise n’est plus un sujet tabou dans l’Hexagone pour bon nombre d’entreprises. Cela participe même de la “marque employeur”. Cependant, certaines sociétés sont encore à des années lumières de la thématique.
Ce sont généralement des grands groupes au management ultra pyramidal et aux managers vieillissants. Ceux-là mêmes qui, il y a 10 ans ont raté le tournant du digital. Je m’en rappelle… “Non, nous ne basculerons pas dans le digital, c’est secondaire”. Aujourd’hui, ils pensent la même chose du bonheur en entreprise. N’ont-ils pas appris de leurs erreurs ? Ne vont-ils pas devoir rattraper à grands frais le temps qu’ils auront perdu en ne s’engageant pas à temps dans la thématique ? Je suis optimiste, bientôt, ces groupes ne seront plus que quelques-uns.
Celles qui travaillent dans l’ombre
Il y a les CHO qui acceptent de porter la thématique dans les médias et tous ces autres responsables du bonheur qui ne veulent surtout aucune communication. Pourquoi me demanderez-vous ? Tout simplement pour ne pas avoir à faire face aux syndicats : parler d’un (voire même plusieurs) responsable du bonheur, c’est “tendre le bâton pour se faire battre”. Le pire est qu’ils ont probablement raison.
Je trouve cela dommage car ces personnes font de nombreuses actions qui mériteraient d’être relayées. Pour les côtoyer dans notre Club des CHO, je peux affirmer que bien loin d’être là pour faire face à une crise, ces managers ou CHO portent réellement la thématique en interne et ne le font nullement pour la communication. Ce sont avant tout des personnalités qui ont à cœur de changer les choses mais qui n’ont pas la possibilité de le faire à découvert.
Celles qui commencent à mettre en place des actions à l’étranger
Je parlais avec le DG d’un grand groupe français convaincu de l’importance du bonheur en entreprise…. Quand je lui demandais ce qu’il faisait, il m’a répondu « je ne souhaite pas en parler au Comex, la thématique apparaîtra trop superficielle ! » Faire du bien, une thématique encore taboue en France ?
De fait, certains grands groupes du CAC 40 commencent à mettre en place des actions pour le bonheur et « l’empowerment » de leurs salariés dans leurs filiales étrangères…. Hé oui ! On teste dans d’autres pays et on verra si on peut faire face au qu’en dira-t-on français !
Celles qui n’en parlent pas, car c’est inhérent à l’ADN de la société
Ils n’en parlent pas, mais pour certaines entreprises, le bonheur au travail est une évidence. Ils n’ont pas forcément besoin de CHO, car le PDG a inculqué la bienveillance dans son entreprise comme pré-requis. Ne vous méprenez pas, il ne s’agit pas forcément de start-ups (ce que je croyais au départ !). Il s’agit souvent de sociétés de services qui savent que leur valeur repose uniquement sur le capital humain. Il est possible de faire régner une bonne ambiance, même dans une société de plus de 30 000 salariés. Il est des groupes dont les ressources humaines arrivent à ne pas oublier le mot « humain » au profit du mot « ressource »…
Pourquoi n’en parlent-ils pas dans les médias ? Tout simplement car ce n’est pas, pour eux, un axe de communication.
Celles qui commencent à en parler (parce qu’on le leur demande !)
Je souris bien souvent quand je lis qu’untel se targue d’être le premier Chief Happiness Officer en Europe, ou que le concept est né ici ou là. En réalité, le concept du CHO existe depuis bien longtemps, seule la dénomination change.
Exemple, les Laboratoires Boiron ont depuis 15 ans une « maîtresse de maison » dont le rôle n’est ni plus ni moins que celui du CHO : s’occuper des salariés nouveaux-arrivés, accompagner les collaborateurs, faire régner une ambiance sereine, etc… A l’origine ? La conviction d’un dirigeant, Christian Boiron qui écrivait déjà en 2000 « La source du bonheur ». Un petit bijou.
Ils ne communiquent pas forcément sur la thématique, mais ces sociétés agissent au quotidien.
Celles qui communiquent
En créant notre Club des CHO, nous nous sommes fixés comme objectif de donner toute sa place dans les médias au sujet du bonheur en entreprise. Du Parisien à M6, on nous demande ce qui se fait dans les entreprises et comment éviter ce qu’on a dénommé le “happy-washing”.
Il n’est pas forcément facile pour nos membres d’assumer des interviews pour toutes les raisons évoquées ci-dessus. Autre cause : les raccourcis CHO = responsable des apéros, ou encore CHO = communication.
De même, on nous interroge sur ces classements des “entreprises où il fait bon vivre”… S’ils sont un bon baromètre, il ne faut pas perdre de vue qu’ils ne concernent que les entreprises qui ont accepté d’être auditées ! L’adage “pour vivre heureux, vivons cachés” est d’autant plus vrai pour cette thématique en entreprise.
Dans notre club, seule la moitié des sociétés participent à ce genre de classement. D’ailleurs, elles n’y participent généralement pas chaque année.
Pour une vision exhaustive du sujet, il est indispensable de chercher au-delà de la seule communication institutionnelle faite par les entreprises.
Celles qui sont en veille
Début janvier, j’animais une session à l’EBG, think tank de l’économie numérique. D’ordinaire on y parle data, innovation, digital. En 2017, les membres (quelques 600 sociétés) ont demandé à ce que le sujet “LE BONHEUR AU TRAVAIL : LE NOUVEAU MODÈLE DE L’ENTREPRISE ?” soit traité lors de la première session de l’année ! En salle ? Plus de 150 sociétés : des plus grands groupes de la distribution française aux banques, aux assurances, aux sociétés de service représentées par leurs directions RH, directions communication, directions RSE, directions digitales ou par leurs DG. On y débattait de l’entreprise libérée, de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée mais aussi des dernières innovations RH.
Evidemment, chaque société mute plus ou moins rapidement en fonction de l’agilité du groupe. De grands groupes anticipent dès aujourd’hui les changements managériaux. Pour exemple, je participais en février au Hackathon de la Société Générale sur le Manager en 2020. 80 collaborateurs de la banque de détail imaginaient les pratiques managériales de demain avec des ateliers sur la QVT (qualité de vie au travail) ou sur le management bienveillant !
L’avenir
Je lisais hier une annonce pour un job qui mentionnait : “Team building, bières et open bonbons”… Effectivement, aujourd’hui une bonne ambiance participe de la marque employeur et on ne peut que s’en réjouir ! Mais attention à l’happy-washing!
Je reste intimement convaincue qu’en France la thématique évoluera à l’instar de celles du digital ou du développement durable. D’abord frileuses, les sociétés les appréhenderont comme un “must do”.
Vous le voyez, le rayon des livres sur le développement personnel a la cote ! Les sociétés doivent suivre. J’imagine que toutes les découvertes dans le domaine des neuro-sciences seront des prétextes pour ceux qui n’osent pas encore parler du bonheur dans leur société. Bientôt, on pourra parler en termes de ROI de l’avantage d’un salarié heureux. C’est un peu triste, mais c’est ainsi.
Conclusions
Cet article est un peu long mais il me semblait important de re-contextualiser cette thématique sur laquelle on entend tout et n’importe quoi.
Une chose est sûre : ceux qui s’investissent sur la thématique du bonheur dans leur société sont alignés (à quelques exceptions près). J’avais ce doute. Qui étaient ces responsables du bonheur ? Que faisaient-ils vraiment ? Un manager bienveillant ? Une illusion ? Nullement.
Retrouver et échanger chaque jour avec ceux qui mettent en place des actions dans leur société est un vrai bonheur. Le Club des CHO est un groupe bienveillant, un groupe tolérant, un groupe collaboratif où l’intelligence collective a toute sa place. Qu’on porte la casquette d’un groupe de plus de 200 000 personnes ou celle d’une start-up, cela ne fait aucune différence, c’est avant tout un échange d’humain à humain où chacun apporte ses idées souvent disruptives.
Catherine Testa est la cofondatrice de l’Optimisme et du Club des CHO.
Après avoir vécu en Espagne, au Portugal et aux Etats-Unis, elle parcourt le monde à la rencontre de CHO et de best practices à répliquer en France.
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