Blackrock détient plus de 1700 milliards de dollars de fonds actifs sous gestion, soit le PIB du Canada ou encore de la Corée du Sud. Rien que ça. L’homme à sa tête s’appelle Larry Fink. Chaque début d’année il envoie une lettre aux patrons des entreprises dont il est actionnaire.
Cette année, il a tout simplement appelé les entreprises à œuvrer pour le bien commun pour être pérenne. Ses sujets, nos sujets au sein du club : futur du travail face à l’automatisation, futur de la formation, futur de la société.
Voici la lettre de Larry Fink :
Alors que BlackRock célèbrera son 30ème anniversaire cette année, j’ai eu l’occasion de réfléchir aux questions les plus pressantes auxquelles les investisseurs sont confrontés aujourd’hui et à la façon dont BlackRock doit s’adapter pour servir au mieux ses clients. C’est un grand privilège et une importante responsabilité de gérer les actifs que nos clients nous ont confiés, dont la plupart sont investis selon des objectifs à long terme tels que la retraite. En tant que fiduciaire, BlackRock s’engage auprès des entreprises pour favoriser une croissance durable à long terme dont ses clients ont besoin pour atteindre leurs objectifs.
En 2017, les actions ont profité d’une croissance exceptionnelle – avec des montants record dans un large éventail de secteurs – et, pourtant, la frustration populaire et l’appréhension face à l’avenir ont atteint dans le même temps de nouveaux sommets. Nous observons ici un paradoxe entre des rendements élevés et une anxiété importante. Depuis la dernière crise financière, ceux qui détiennent du capital ont récolté d’énormes bénéfices. En parallèle, beaucoup de personnes à travers le monde font face à une combinaison de taux bas, de baisse des revenus, et des systèmes de retraite inadaptés. Beaucoup ne disposent pas des capacités financières, des ressources, ou des outils pour économiser de manière efficace; ceux qui investissent ont trop souvent surinvestis en placements monétaires. Pour des millions de personnes, la perspective d’une retraite sûre s’éloigne de plus en plus – en particulier parmi les travailleurs moins diplômés, dont les emplois sont de plus en plus précaires. Je crois que ces tendances sont majoritairement à l’origine de l’anxiété et de la polarisation que nous voyons dans le monde aujourd’hui.
Nous constatons également que de nombreux gouvernements ne parviennent pas à préparer l’avenir, sur des questions allant de la retraite aux infrastructures en passant par l’automatisation et la formation professionnelle. Par conséquent, la société se tourne de plus en plus vers le secteur privé et demande aux entreprises de répondre à des défis sociétaux plus larges. En effet, les attentes du grand public à l’égard de votre entreprise n’ont jamais été aussi grandes. La société exige que les entreprises, à la fois publiques et privées, se mettent au service du bien commun. Pour prospérer au fil du temps, toute entreprise doit non seulement produire des résultats financiers, mais également montrer comment elle apporte une contribution positive à la société. Les entreprises doivent bénéficier à l’ensemble de leurs parties-prenantes, dont les actionnaires, les salariés, les clients et les communautés dans lesquelles elles opèrent.
Sans but clair, aucune entreprise, qu’elle soit publique ou privée, ne peut atteindre tout son potentiel. Elle finira par perdre son droit d’exercer son activité accordée par les parties-prenantes clés. Elle succombera à des pressions à court terme pour distribuer des dividendes, et, au cours de ce processus, sacrifier les investissements au développement des salariés, l’innovation, et les dépenses en capital qui sont nécessaires à une croissance à long terme. Elle restera exposée à des campagnes d’activistes qui proposent une stratégie claire, même si celle-ci ne sert seulement que les objectifs les plus court-termistes et les plus limités. Et in fine, l’entreprise distribuera des rendements plus bas aux investisseurs qui en dépendent pour financer leur retraite, l’achat d’une maison, ou des études supérieures. Globalement, l’utilisation croissante des fonds indiciels par les investisseurs entraîne une transformation de la responsabilité fiduciaire de BlackRock et plus largement de la gouvernance d’entreprise. Au sein des 1 700 milliards de dollars de fonds actifs que nous gérons, BlackRock peut choisir de vendre les actions d’une société si nous doutons de ses orientations stratégiques ou de sa croissance à long terme. Dans la gestion de nos fonds indiciels, cependant, BlackRock ne peut pas exprimer sa désapprobation en vendant ses titres, tant que celle-ci reste dans l’indice pertinent. Par conséquent, nous avons plus que jamais la responsabilité de nous engager et de voter. En un sens, les investisseurs indiciels sont les investisseurs à long-terme ultime – proposant un capital patient pour que les entreprises puissent croître et prospérer.
Tout comme les responsabilités auxquelles doit faire face votre entreprise sont devenues plus importantes, il en est de même des responsabilités des gestionnaires d’actifs. Nous devons être des agents actifs et engagés au nom des clients qui ont choisi BlackRock pour investir, qui sont les véritables propriétaires de votre entreprise. Cette responsabilité va au-delà des votes lors des assemblée générales annuelles – cela signifie investir le temps et les ressources nécessaires pour favoriser la création de valeur à long terme. […]
Afin de rendre l’engagement avec les actionnaires aussi productif que possible, les entreprises doivent être en mesure de décrire leur stratégie de croissance à long terme. Je tiens à réitérer notre demande, formulée dans les lettres précédentes, que vous exprimiez publiquement le cadre stratégique de votre entreprise pour la création de valeur à long terme et que vous affirmiez explicitement que ce cadre a été examiné par votre conseil d’administration. Cela démontre aux investisseurs que votre conseil s’engage dans la direction stratégique de l’entreprise. Lorsque nous rencontrons des administrateurs, nous nous attendons également à ce qu’ils décrivent le processus de supervision de votre stratégie par le conseil d’administration. Il est essentiel d’exprimer une stratégie de long terme afin de comprendre les actions et les méthodes d’une entreprise, son degré de préparation à des défis potentiels et le contexte dans lequel elle prend des décisions à court terme. La stratégie de votre entreprise doit dégager un chemin pour réaliser une performance financière. Cependant, pour maintenir cette performance, vous devez également appréhender l’impact sociétal de votre entreprise, ainsi que la manière dont les grandes tendances structurelles – de la croissance lente des salaires à l’automatisation croissante en passant par le changement climatique – affectent votre potentiel de croissance.
Ces plans stratégiques ne sont pas destinés à être gravés dans le marbre – ils devraient plutôt continuer à évoluer en même temps que l’environnement des affaires et reconnaître explicitement les sujets d’insatisfaction possibles pour les investisseurs. Bien sûr, nous reconnaissons que le marché est beaucoup plus à l’aise avec les résultats financier trimestriels qu’avec les discussions stratégiques complexes. Mais une cause majeure de la montée de l’activisme – et des luttes intempestives en assemblée générale – est que les entreprises n’ont pas été assez explicites sur leurs stratégies à long terme. Aux États-Unis, par exemple, les entreprises devraient expliquer aux investisseurs comment les changements importants apportés à la législation fiscale s’inscrivent dans leur stratégie à long terme. Que ferez-vous avec l’augmentation des flux de trésorerie après impôt, et comment allez-vous l’utiliser pour créer de la valeur à long terme ? C’est un moment particulièrement délicat pour les entreprises pour expliquer leurs stratégies de long terme aux investisseurs. Les changements fiscaux encourageront les activistes avec des perspectives de court terme à exiger des réponses sur l’usage d’une trésorerie plus conséquente, et les entreprises qui n’ont pas encore développé et expliqué leurs stratégies auront des difficultés à se défendre contre ces campagnes. La réforme fiscale américaine n’est qu’un exemple – quelle que soit la juridiction d’une société, il est de votre responsabilité d’expliquer aux actionnaires à quel point les changements législatifs ou réglementaires auront un impact non seulement sur le bilan de l’année prochaine mais également sur votre stratégie de croissance à long terme. Là où les activistes offrent des contributions de valeur – ce qui est plus souvent le cas que ce que certains détracteurs insinuent – nous encourageons les entreprises à entamer des discussions plus tôt, à s’engager avec des actionnaires comme BlackRock et à amener d’autres parties prenantes importantes à la table des discussions. Mais lorsqu’une entreprise attend qu’une résolution actionnariale soit déposée pour engager une discussion ou ne parvient pas à exprimer sa stratégie de long terme d’une manière convaincante, nous considérons que l’opportunité d’un dialogue significatif a d’ores et déjà été manquée.
L’engagement du conseil dans l’élaboration de votre stratégie de long terme est essentiel, car un conseil engagé et une approche de long terme sont des indicateurs précieux de la capacité d’une société à créer de la valeur pour ses actionnaires à long terme. Tout comme nous cherchons à approfondir la discussion entre les entreprises et les actionnaires, nous demandons également aux administrateurs de s’impliquer davantage dans la stratégie de long terme d’une entreprise. Les conseils ne se rencontrent qu’occasionnellement, mais leur responsabilité est permanente. Les administrateurs dont les connaissances proviennent uniquement de réunions occasionnelles ne remplissent pas leur devoir envers les actionnaires. De même, les dirigeants qui considèrent les conseils d’administration comme une nuisance ne font que se nuire à eux-mêmes ainsi qu’aux perspectives de croissance à long terme de l’entreprise.
Nous continuerons également de souligner l’importance d’un conseil d’administration diversifié. Les conseils mélangeant genres, nationalités, expériences et façons de penser ont, à leur tour, une manière de penser plus diversifiée et plus avertie. Ils sont moins susceptibles de succomber à la pensée de groupe ou de passer à côté de nouvelles menaces pour le business model de l’entreprise. Et ils sont mieux à même d’identifier les opportunités qui favorisent la croissance de long terme.
De plus, le conseil d’administration est essentiel pour aider une entreprise à définir et à poursuivre son objectif, ainsi qu’à répondre à des questions de plus en plus importantes pour ses investisseurs, ses consommateurs et les communautés dans lesquelles elle opère. Dans le contexte actuel, ces parties prenantes exigent que les entreprises exercent un leadership sur un plus large éventail de questions. Et ils ont raison : la capacité d’une entreprise à gérer les questions environnementales, sociales et de gouvernance démontre la qualité du leadership et la bonne gouvernance qui sont si essentiels à une croissance durable. C’est pourquoi nous intégrons de plus en plus ces questions dans notre processus d’investissement.
Les entreprises doivent s’interroger : quel rôle jouons-nous dans la communauté ? Comment gérons- nous notre impact sur l’environnement ? Formons-nous une main-d’œuvre diversifiée ? Est-ce que nous sommes en train de nous adapter au changement technologique ? Fournissons-nous les formations et les opportunités dont nos employés et notre entreprise auront besoin pour s’adapter à un monde de plus en plus automatisé ? Utilisons-nous la finance comportementale et d’autres outils pour préparer les travailleurs à la retraite, afin qu’ils investissent de telle sorte que cela les aide à atteindre leurs objectifs ?
Alors que nous entrons en 2018, BlackRock est impatient de participer aux discussions sur la création de valeur à long terme et de travailler à l’élaboration d’un meilleur cadre pour servir toutes vos parties prenantes. Aujourd’hui, nos clients – qui sont les propriétaires de votre entreprise – vous demandent de faire preuve de leadership et de clarté, ce qui favorisera non seulement le rendement de leurs investissements, mais aussi la prospérité et la sécurité de leurs concitoyens. Nous sommes impatients de dialoguer avec vous sur ces questions.
Sincèrement,
Laurence D. Fink
Président-Directeur général