Sophie Deligiannis, ancienne avocate, médiatrice, intervenante en entreprise et créatrice du podcast “Il y avait une fois” nous donnait, dans un premier article, des astuces pour poser nos limites. Nous lui avons demandé de décrypter pourquoi nous avons parfois tant de mal à dire “non” dans le cadre professionnel.
Sophie, saurais-tu nous dire pourquoi nous avons peur de dire "non" ? - bon élève ? préjugé ? peur du jugement ? peur de la critique ? peur de la réaction ?
Nous avons peur de dire non pour plusieurs raisons, notamment :
- la peur du conflit,
- la peur de blesser l’autre,
- la peur du jugement ou de la critique,
- la peur du rejet,
- la peur des réactions de l’autre,
- la peur de ne pas être parfait(e).
Au fond, il y a les peurs de déplaire et d’être exclu(e), combinées avec le désir d’être aimé(e) et d’appartenir au « clan ».
Dans tous les cas, nos peurs sont intimement liées à nos croyances, qui trouvent leur origine dans notre éducation et notre expérience de vie. Parmi elles, il y a les messages répétés depuis l’enfance (dénommés les « drivers » en analyse transactionnelle) qui peuvent conditionner nos comportements, comme par exemple :
- « Fais plaisir » que nous avons intégré à travers les phrases du type :Ne sois pas égoïste, Sois gentil, Tu me fais de la peine … qui peuvent amener à avoir peur de décevoir, rechercher l’approbation, ne pas savoir dire non et se sentir envahi par l’autre, même si ces phrases génèrent également de l’empathie et de l’altruisme.
- « Dépêche-toi » que nous avons entendu derrière des phrases du type : Tu es trop lent, Arrête de traîner, … qui peuvent nous mettre beaucoup la pression pour en faire toujours plus ou prendre en charge des choses au-delà de nos limites, même si ces phrases nous poussent aussi à la réactivité et à une exécution rapide des choses.
- « Fais des efforts » que nous avons assimilé par l’intermédiaire de phrases du type : A vaincre sans effort, on triomphe sans gloire, Donne-toi du mal, On n’a rien sans rien, Sans souffrance, il n’y a rien ! … qui nous conduisent parfois à compliquer les choses, à avoir peur de la critique et à croire que cela va être dur, même si ces phrases permettent aussi de développer la patience et la persévérance.
Nos croyances peuvent être, selon les circonstances et les moments de notre vie, aussi bien soutenantes que limitantes. Dans ce cas, nous avons parfois besoin de les faire évoluer pour nous sortir de situations ou de relations qui ne nous conviennent plus.
Existe-t-il des profils type de personnes qui n'osent pas dire non ?
Oui, il y a certains profils de personnes qui n’osent pas dire non, sans vouloir les étiqueter, ni être réductrice. En effet, les personnes conciliantes et empathiques, de nature plutôt introverties ou réservées, ont du mal à ne pas répondre aux attentes des autres, qu’elles soient exprimées ou présupposées. Elles ont tendance à être tournées vers l’autre, en négligeant leurs propres besoins. Si elles disent non, elles peuvent culpabiliser. Paradoxalement, elles peuvent s’en vouloir d’avoir dit oui, alors qu’elles pensaient le contraire. C’est ce qui explique qu’elles peuvent ne pas se sentir en phase avec elles-mêmes, ce qui a une incidence directe sur la confiance en soi et l’estime de soi. C’est une situation que j’ai moi-même vécue durant de nombreuses années, avant de faire évoluer mon positionnement face à l’autre. C’est d’ailleurs ce que je transmets à travers mes podcasts et mes interventions.
Aurais-tu des astuces pour oser dire non ?
Face à une sollicitation, la réponse n’est pas toujours évidente, lorsque nous avons l’habitude de penser aux autres avant de penser à soi. C’est pourquoi, il est important de s’assurer, au préalable, de ce qui nous semble juste, selon notre propre perception.
Pour cela, à chaque fois que vous vous dites un oui, sans hésitation, face à une demande, c’est un véritable oui ! L’intuition peut également vous aider. Elle se manifeste à travers nos ressentis, notamment lorsque vous vous dites « je ne le sens pas » … Pour ma part, je sens un élan intérieur lorsque la réponse est oui, alors que le ventre ou la gorge se nouent lorsque la réponse est non. Nous avons chacun nos propres signaux. C’est en développant l’écoute de soi que les réponses deviennent de plus en plus spontanées.
Parmi les astuces pour oser dire non, vous pouvez commencer à décliner les sollicitations sans grande importance et vous en félicitez pour ancrer cette nouvelle habitude. Au fur et à mesure, vous développerez les ressources suffisantes pour oser des dire non à des sollicitations ayant des enjeux plus importants, à vos yeux.
Par ailleurs, vous n’êtes pas obligé(e) de répondre immédiatement, afin de vous laisser le temps de connaître vos envies et vos besoins. C’est l’occasion de vous interroger sur les enjeux en présence :
- Si vous dites non à telle sollicitation, quelles en seront réellement les conséquences ?
- Y-aura-t-il une incidence sur la relation que vous entretenez avec votre interlocuteur ?
- Comment réagiriez-vous si votre interlocuteur refusait une sollicitation similaire de votre part ?
Vos réponses à ces questions vous permettront de prendre du recul par rapport à certaines peurs qui peuvent vous freiner.
Qu’elle que soit la situation, vous êtes légitime à dire non. Il est inutile de se justifier. Vous pouvez y mettre les formes : Ce serait avec plaisir mais je ne peux pas / j’ai besoin de …, C’est une bonne idée mais je ne peux pas / j’ai besoin de …Vous pouvez également proposer une alternative, sous réserve de ne pas prendre des engagements qui deviendraient contraignants ou que vous ne pourriez pas tenir.
Il est parfois nécessaire de faire évoluer son positionnement face à l’autre. Cela nécessite de mieux comprendre ses émotions, mieux identifier ses besoins, voire revisiter certaines croyances. Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à se faire accompagner par un professionnel pour prendre du recul, se poser les bonnes questions et avoir le soutien que nos proches ne peuvent pas toujours nous apporter.
Pourquoi est-il important de savoir dire non et de rappeler que ce n'est pas être égoïste ?
Nous ne pouvons pas dire oui à tout le monde, notre temps ni notre énergie n’étant pas illimitées, sans oublier le stress généré par la charge mentale, les ruminations, voire la rancœur que le manque de limites posées peut engendrer. Il est donc important de savoir dire non pour ne pas s’épuiser, se respecter et prendre soin de soi.
Savoir dire non permet non seulement de gagner en confiance en soi mais aussi de développer l’estime de soi. Plus on se sent obligé de dire oui à l’autre, moins on se sent capable de dire non et plus on lui accorde de l’importance à notre détriment. En effet, nous pouvons croire que l’autre a plus de valeur que nous. En osant dire non, nous cessons donc d’alimenter cette croyance erronée, dont nous ne sommes pas toujours conscients.
Enfin, il est important de rappeler que ce n’est pas égoïste de dire non. Nous pouvons ne pas oser dire non pour préserver le lien qui nous unit avec notre interlocuteur. Or, une relation ne peut être équilibrée qu’à condition d’être fondée sur le respect mutuel des besoins de chacun. Pour cela, il est nécessaire de poser ses limites et donc de savoir dire non.